Au pied du suc
SOS poètes !
Un poète russe, je ne sais plus lequel, affirmait que c’était Dieu qui écrivait à sa place. Il ajoutait même que tel jour, Dieu avait été bon et que d’autres, il avait été plutôt médiocre. Pour ma part, je lis et j’écris des poèmes depuis ma plus tendre enfance. Depuis très longtemps, il me viennent la nuit, après quelques heures de sommeil, lorsque le cerveau s’est un peu débarrassé des soucis de la veille et que j’entame une période d’insomnie. Autrement dit, j’écris au lit, d’abord dans ma tête, bien au chaud, bien allongé, et je transcris mes mots ensuite lorsque tout est prêt. Si je ne les ai pas oubliés au cours d’un somme qui a suivi, ce qui m’oblige à les retrouver. Je n’irai pas pour autant jusqu’à dire que c’est Dieu qui me les dicte. Je penserais plutôt, pour reprendre la formule d’Arthur Rimbaud, à un autre je, qui me ferait ce cadeau. Une autre partie de moi-même qui ne se manifeste pas lorsque je suis à l’état de veille, sauf au cours d’une longue promenade. Là encore, le mystère s’opère sans que je l’aie sollicité. Je ne me mets jamais à ma table de travail en disant : je vais écrire un poème. Le poème est d’une autre essence que la prose.
C’est tout de même dire que la poésie est un besoin pour moi. La nécessité d’explorer mon monde intérieur, d’aller au plus profond de soi, peut-être pour répondre aux questions existentielles, en tout cas pour réfléchir sur le sujet. Mais je n’oublie jamais, cela dit, que la poésie se doit d’être la sœur de la beauté. Beauté de la langue avant tout. Beauté de ce qui nous entoure, ce qui nous oblige aussi à considérer et à dénoncer à notre manière la laideur. Beauté de la Vie face à la Mort. Baudelaire l’avait fort bien compris lorsqu’il écrivit son fameux texte intitulé : La Charogne. Baudelaire qui disait que tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours – de poésie jamais. (in L’Art romantique )
Les choses ont bien changé : ce dont les gens ne peuvent se passer aujourd’hui, ce serait plutôt de jeux vidéos, de matches, de drogues de toutes sortes, de courses, de paris aussi stupides qu’onéreux ; le panem et circenses a plus que jamais cours, même si la sauvagerie a un peu diminué. Encore que ! ( courses de taureau, combats de coqs, débordements des stades) Notre société aurait, plus que jamais, besoin de poésie mais elle en ressent de moins en moins le manque. Dans ce monde mécanisé, robotisé, aseptisé, dogmatisé, traumatisé, fragilisé, et finalement déshumanisé, ce que peut apporter la poésie est inestimable. Nous le savons bien, nous qui continuons d’aligner des mots pour le plaisir, pour nous émerveiller, nous enchanter, nous abstraire des contingences matérielles, nous indigner des événements et circonstances, nous insurger contre l’injustice. Je songe à André Chénier qui, à la veille d’être guillotiné, écrivait ses fameux Iambes : Dans l’encre et l’amertume une autre arme trempée / peut encor servir les humains.
Les choses ont bien changé : ce voyageur ailé, gauche et veule, qui hante la tempête et se rit de l’archer, ( L’Albatros in Les Fleurs du mal ) est plus que jamais mis à l’écart de la société. Il n’a pas accès aux médias, il ne bénéficie plus de la considération des intellectuels, il est ignoré par les éditeurs que seul le profit motive, il n’est plus guère admis à l’école. Il lui reste Internet pour s’exprimer mais dans cet immense capharnaüm que représente la toile, parvient-il a se faire quelque audience? Le foisonnement que l’on y trouve ne fait-il pas que le bon se dissout dans le médiocre ?
Dans la société des fourmis, on trouve des ouvrières, des soldats qui défendent la fourmilière et la reine qui procrée. Vers la mi-août, jeunes mâles et femelles copulent et c’est le vol nuptial : ceux-ci y laissent leur peau, celles-là fondent une nouvelle colonie. Est-ce que notre monde ne va pas un peu dans ce sens, une fois comptabilisés les chômeurs, ceux qui ont un emploi, précaire ou pas, les classes dites moyennes que l’on tire de plus en plus vers le bas, et les nantis qui encaissent les bénéfices de l’universelle termitière humaine ? Qu’en sera-t-il de l’humanité dans quelques décennies, alors que nous avons tous une multitude de petits écrans qui nous branchent, parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et que nous perdons peu à peu notre langue à force de la défigurer, que ce soit par le S M S, ou autres sabirs infâmes, compréhensibles seulement par les initiés ? N’allons-nous pas nous scléroser définitivement comme lesdites fourmis ?
Les poètes – la poésie – seraient plus que jamais nécessaires mais nous, qui rimons encore, sommes des sortes de fossiles vivants, des survivants genre dinosaure, que l’on considère avec mépris. Rares sont ceux qui osent dire dans leur entourage qu’ils sont poètes, ce que chacun de nous devrait être pour mieux s’en sortir. Il n’y a qu’à voir la façon dont on prononce le mot : Poète! ? une sorte de grimace s’ensuit, pour le moins révélatrice. On est de suite fiché dans le clan des ringards.
Cela ne doit pas empêcher notre détermination, nous empêcher de nous battre pour que la poésie retrouve la place qu’elle a perdue auprès des autorités qui nous dirigent, afin que des créneaux soient réservés à la diffusion des textes qui en valent la peine, auprès des cercles de lecture, dans les bibliothèques, les librairies, les maisons d’édition. Oui, mais c’est bien plus beau lorsque c’est inutile, fait dire Edmond Rostand à son Cyrano. L’inutile ? On peut s’interroger là-dessus. Il y a, chez l’homme, normalement constitué, un besoin impératif d’inutile pour rééquilibrer ce que la vie lui impose de contraintes et de contrariétés. On n’a peut-être pas compris tout à fait cela ; si nous consommions un peu plus de poésie, nous cesserions peut-être d’être les champions du monde de la consommation de médicaments et de drogues. Personnellement, si je n’avais pas la poésie pour faire diversion à ce monde qui nous pèse de plus en plus, restreint de plus en plus nos libertés au nom de la sécurité, rend de plus en plus aléatoire notre action, je ne pense pas que ma vie me conviendrait encore, qu’elle vaudrait la peine d’être vécue. Bien sûr, il ne s’agit pas de s’enfermer dans la tour d’ivoire, mais d’être au contraire, de plus en plus contagieux.
Louis Delorme
ON A TOUT DIT...
On a tout dit sur les Poètes :
Qu’ils avaient les cheveux trop longs,
Qu’ils avaient un peu trop de plomb
Dans l’aile et trop peu dans la tête.
On a tout dit sur les Poètes,
On les a quelquefois maudits,
Leurs mots n’étaient pas à la fête
Et leurs libelles interdits
On en a fait de grands oiseaux
Avec des ailes maladroites ;
Elle a fait plus d’un vers qui boite,
La censure avec ses ciseaux.
On leur a tout fait aux poètes,
On les a traînés dans la boue
Parfois même roués de coups,
Le brave Cyrano en tête.
On les a dits de cette graine
Qui fait le chanvre des pendus,
Que leur corps était à la traîne,
Et que leur âme était perdue.
On a dit sur la même antienne
Que leur Muse grattait le luth
Et qu’ils fréquentaient Belzébuth
Pour que l'inspiration leur vienne.
Villon, Ronsard eurent de peine
De ne pas être reconnus
Nerval, Baudelaire et Verlaine
N’étaient pas acceptés non plus.
Certains n’aiment pas les Poètes
Qu’ils traitent d’oiseaux de malheur ;
Ils mettraient Vian aux oubliettes
Pour ses couplets du déserteur,
Et Brassens derrière les grilles
Pour avoir écrit le gorille,
Et Léo Ferré au placard
Pour avoir chanté les anars.
Rimbaud avec son bateau ivre
N’a jamais gagné de quoi vivre
Et c’est certain qu’il a souffert
Plus d’une saison en enfer.
On a tout dit sur les Poètes :
Qu’ils étaient sans doute un peu fous,
Qu’ils se prenaient pour des prophètes
Mais ce qu’on n’a pas dit du tout,
C’est qu’ils avaient un cœur de braise,
Tout chaud dans le creux de leur main,
Que ce cœur réchauffe et apaise
Ceux qu’ils croisent sur leur chemin.
On n’a pas dit de leur sourire
Qu’il était un rayon de miel ;
Nul n’a dit qu’il pouvait suffire
A faire imaginer le ciel.
On a trop dit sur les Poètes,
On ne les a guère écoutés,
On n’a pas compris que leur quête
Etait celle d’éternité.
Permettez que je le répète
– Ce mot me sert de vérité –
On a tout dit sur les poètes
Quand on parle de Liberté.
(extrait de mon recueil : Le Point de rupture )
L.D.