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Avant-propos

 

En me consacrant à l’étude des fables ou de la Fable, je n’ai pas la prétention de faire une œuvre exhaustive. La Fontaine lui-même nous dit que "...les ouvrages les plus courts / Sont toujours les meilleurs. Et il ajoute qu’il faut laisser / Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser ". ( Fables - L X, XIV)

J’éprouve / j’ai éprouvé – et ce depuis pas mal d’années – plutôt le désir de réfléchir sur le sujet que la volonté de donner un enseignement. Si enseignement il y a, à partir de ma réflexion, il ne saurait venir que des pédagogues eux-mêmes et de l’utilisation qu’ils pourront faire de ce livre.

Je me suis plu à rechercher les auteurs du passé, injustement oubliés, même si tous ne parviennent pas à se hisser aux sommets. J’ai essayé de trouver dans les auteurs plus récents des textes qui s’apparentent de plus ou moins près à la fable, j’ai enfin prospecté parmi mes amis poètes, qui, de nos jours encore, montrent par leurs écrits que la fable n’est pas un genre complètement désuet.

En tant qu’enseignant, j’ai beaucoup utilisé les fables et je crois qu’elles n’ont rien perdu de leur attrait auprès des enfants, à condition qu’on les mette à leur portée en réduisant le décalage qu’il peut y avoir entre la langue des poètes et la leur propre. Je me suis parfois demandé si, par ailleurs, des textes qui ont été appris par des générations et des générations d’élèves, ne sont pas comme ancrés dans notre inconscient collectif.

J’espère qu’on me pardonnera de conclure ce petit livre en y ajoutant mes propres fables.

précurseurs

et

maître

 

"La fable ne saurait être définie comme un genre littéraire ; moins encore comme un genre poétique," si l’on en croit le Dictionnaire des Littératures de chez Bordas. (article sous la signature de A. M. BASSY).

C’est vrai que la forme de la fable est très diverse. Par sa longueur, par les sujets abordés, les symboles employés, la versification, voire la prose, utilisée par les auteurs. Les constantes sont plutôt du côté de la fantaisie, ramenée au sérieux par la morale, dans l’amusement au service d’une pédagogie, dans l’invention qui crée le charme.

Une morale nue apporte de l’ennui

Le conte fait passer le précepte avec lui, nous dit La Fontaine lui-même.

 

La fable existe dans l’antiquité. Esope, puis Phèdre serviront de modèles à tous nos auteurs. La Fontaine ira aussi chercher ses sources dans Le Livre des Lumières ou la Conduite des Rois, écrit par Pilpay, fabuliste indien.

Précédant notre bon La Fontaine qui marque en quelque sorte l’apogée du genre – à plusieurs reprises dans son article, A. M. Bassy emploie le mot après en avoir contesté la pertinence – de nombreux auteurs se sont livrés à cet exercice.

Marie de France a déjà fait une fable sur le corbeau et le renard. Ainsi qu’une autre sur le loup et l’agneau. La Fontaine les reprendra de belle façon :

 

Del corp e del gupil

 

Issi avint e bien puet estre

que par devant une fenestre,

ki en une despense fu,

vola uns cors, si a veü

furmages ki dedenz esteient

e sur une cleie giseient.

Un en a pris, od tut s'en va.

Uns gupiz vint, si l'encuntra.

Del furmage ot grant desirier

qu’il en peüst sa part mangier ;

par engin voldra essaier

se le corp puma engignier.

"A, Deus sire !" fet li gupiz,

"tant par est cist oisels gentiz !

El munde nen a tel oisel

Unc de mes ueiz ne vi si bel !

Fust tels sis chanz cum est sis cors,

il valdreit mielz que nuls fins ors."

Li cors s’oï si bien loër

qu’en tut le munde n’ot sun per.

Purpensez s’est qu’il chantera

ja pur chanter los ne perdra.

Le bec ovri, si comença

li furmages li eschapa,

a la terre l’estut chair,

e li gupiz le vet saisir.

Puis n’ot il cure de sun chant,

que del furmage ot sun talant.

 

C’est essamples des orguillus

ki de grant pris sunt desirus

par losengier e par mentir

les puet hum bien a gre servir;

le lur despendent folement

pur false losenge de gent.

 

Le texte est en octosyllabes sans artifice, sans qu’apparaissent vraiment les caractères du renard et du corbeau. Les rimes sont plates, le style est simple et direct, narratif. L’auteur ne recherche pas les effets.

 

 

Le corbeau et le renard

 

Il advint qu’un jour un corbeau

qui volait devant la fenêtre d’une dépense

vit à l'intérieur des fromages

étendus sur une claie.

Il en prend un, se sauve avec son butin.

Il rencontre un renard qui passait par là

et qui fort désireux de manger du fromage,

se résout à employer la ruse pour tromper le corbeau.

« Seigneur Dieu ! fait le goupil, quel superbe oiseau !

II n’a pas son pareil au monde !

Mes yeux n’ont rien vu de si beau !

Si son chant égalait sa grâce,

il vaudrait mieux que les ors les plus fins ! »

Le corbeau s’entend si bien louer

et dire qu’au monde il n’a pas son pareil

qu’il se doit de chanter

pour ne pas perdre ces louanges,

faute de faire entendre sa voix.

Il ouvrit le bec et commença

et le fromage lui échappa et chut à terre.

Et le goupil, qui s’en saisit,

n’a cure du chant du corbeau,

ni de son talent mais seulement du fromage.

 

Cet exemple devrait servir de leçon aux orgueilleux

qui souhaitent se faire un nom :

des louanges et des mensonges

on leur en sert tant qu’ils en veulent ;

et ils dépensent follement

pour le plaisir de les entendre.

 

La traduction que je propose est très libre ; elle ne suit pas le texte mot à mot. Certaines finesses nous échappent, sans doute du fait que la langue a beaucoup vieilli.

 

Comment ne pas en venir au texte de Jean de La Fontaine sur le même sujet :

 

Le Corbeau et le Renard 1

 

Maître Corbeau sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard par l’odeur alléché,

Lui tint à peu près ce langage :

Hé, bonjour, Monsieur du Corbeau,

Que vous êtes joli, que vous me semblez beau !

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.»

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s’en saisit et dit : mon bon Monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l’écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.»

Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

 

1) Ce thème du Corbeau et du Renard est certainement celui qui a connu le plus de succès. Une fable en argot a même longtemps couru sur les ondes : "Un pignouf de Corbac, sur un arbre planqué." etc.

 

La Fontaine, quant à lui, fait varier son vers : il utilise tour à tour des octosyllabes, des décasyllabes, des alexandrins ce qui permet d’accélérer ou de ralentir le rythme, de faire que celui-ci s’adapte au cours de l’histoire qui nous est racontée, plus lent lorsque le récit l’exige : " Que vous êtes joli, que vous me semblez beau ! ", plus rapide lorsque les événements le requièrent, l’auteur faisant au besoin appel à une rime interne au vers : " Le Renard s’en saisit et dit " . Tantôt il croise les rimes, tantôt il les fait se suivre, ce qui donne de la fantaisie, ce qui rompt la monotonie. Ces rimes ne sont ni riches ni pauvres, elles font rarement appel à la consonne d’appui ( sauf ramage et plumage.) Mais la versification de La Fontaine est toujours parfaite en ce sens que tout est fluide, tout coule comme de source. Il n’y a aucun remplissage.

 

 

Si nous comparons maintenant les contenus et le style, nous conviendrons que La Fontaine campe beaucoup mieux ses personnages en leur donnant de la majuscule puis du Maître, en faisant s’exprimer le renard avec force obséquiosité. Celui-ci va chercher des formules raffinées pour tourner sa flatterie : il ne parle pas de voix mais de ramage (étymologiquement le chant des petits oiseaux perchés sur des rameaux) ; quand on connaît le cri plutôt désagréable du corbeau, on apprécie mieux l’ironie ; il promet au corbeau, sinon l’immortalité, la renaissance, celle que l’on prête au Phénix : " Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ". Le mot hôtes a ici quelque chose de précieux.

Pour donner à ses personnages plus de véracité, il les fait parler plus souvent que Marie de France. C’est encore le Renard qui tire la morale de l’histoire. Il les rend vivants pareils à ses semblables, ceux de son époque, principalement les courtisans.

Jean-Jacques Rousseau a beaucoup décrié les Fables de La Fontaine, notamment à cause du langage des animaux ; d’animaux, si différents qui, selon lui, ne devraient pas se

comprendre : "Ce langage ! Les renards parlent donc ? Ils parlent donc la même langue que les corbeaux ?" s’indigne-t-il dans " l’émile ".

 

Rousseau n’a rien compris lui-même à la fable puisqu’il en récuse les conventions. Des conventions, il y en a dans toute littérature. " On fait apprendre les fables de La Fontaine, nous dit-il encore, à tous les enfants, et il n’y a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis ; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vertu. ( " émile " - Les Fables - Livre II ) Rousseau, néanmoins, reconnaît à La Fontaine le plaisir que l’on peut tirer de leur lecture, mais toujours sur le ton du reproche : " Je dis qu’un enfant n’entend point les fables qu’on lui fait apprendre, parce que, quelque effort qu’on fasse pour les rendre simples, l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire entrer des idées qu’il ne peut saisir, et que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu’on achète l’agrément aux dépens de la clarté. " ( ibidem)

Rousseau se pose en moraliste. Le plaisir de la lecture poétique, de son intérêt pour l’esprit, il l’ignore absolument. Et c’est justement là que La Fontaine excelle, en créant une dynamique, un enjouement qui emportent l’adhésion. Qu’importe si l’enfant ne comprend pas tout dans le texte. L’essentiel, c’est qu’il en tire cette sorte de satisfaction qui naît de l’histoire, et du tour qu’elle prend – tant dans la forme que dans son contenu – lorsque celle-ci nous captive.

Toutes les fables de La Fontaine ne sont pas parfaitement réussies. Certaines sont trop longues. Il est difficile de faire court

d’autant qu’il s’agit souvent d’une véritable pièce de théâtre entre les différents protagonistes. C’est le cas par exemple de celle-ci : " Le Chat , la Belette et le petit Lapin ". (Fables - L VII, XVI)

 

Acte I : La belette s’empare du terrier de Jeannot Lapin.

Acte II : Celui-ci revient aux souterrains séjours et s’indigne de la situation

Acte III : la Belette expose ses arguments

Acte IV : la réplique de Jeannot

Acte V : Le recours au jugement du chat.

 

LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN

 

Du palais d’un jeune Lapin

Dame Belette, un beau matin,

S’empara : c’est une rusée.

Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.

Elle porta chez lui ses pénates un jour

Qu’il était allé faire à l’aurore sa cour,

Parmi le thym et la rosée.

Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,

Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.

La belette avait mis le nez à la fenêtre.

« Oh ! Dieux hospitaliers ! que vois-je ici paraître ?

Dit l’animal chassé du paternel logis

Holà, madame la Belette,

Que l’on déloge sans trompette,

Ou je vais avertir tous les rats du pays. »

La dame au nez pointu répondit que la terre

était au premier occupant.

C’était un beau sujet de guerre
Qu’un logis où lui-même il n'entrait qu’en rampant :
    « Et quand ce serait un royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
    En a pour toujours fait l’octroi
A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
    Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi »
Jean Lapin allégua la coutume et l’usage
« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur ; et qui, de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi, Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage ?    
— Or bien sans crier davantage
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C’était un Chat vivant comme un dévot ermite,
    Un Chat faisant la chattemite,
Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée:
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfants approchez,
approchez : je suis sourd, les ans en sont la cause. »
L’un et l’autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud, le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.

Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

 

 

 

 

 

 

On est bien obligé de reconnaître que La Fontaine, qui n’a pas inventé les scénarios de ses fables a cependant donné un éclat incomparable aux sujets qu’il a traités.

Il y a peut-être un exemple ou l’élève n’a pas dépassé le maître : c’est avec la fable LE LION ET LE RAT. Celle de Clément Marot me semble plus élaborée, plus réussie, pleine qu’elle est d’humour et de fantaisie. Mais comparons plutôt les deux textes :

 

EPISTRE À SON Amy LYON 1

 

Je ne t’escry de l’amour vaine & folle,

Tu voys assez, s’elle sert, ou affolle

Je ne t’escry ne d’Armes, ne de Guerre,

Tu voys, qui peult bien, ou mal y acquerre

Je ne t’escry de Fortune puissante,

Tu voys assez, s’elle est ferme, ou glissante

Je ne t’escry d’abus trop abusant,

Tu en sçais prou, & si n’en vas usant :

Je ne t’escry de Dieu, ne sa puissance,

C’est a luy seul t’en donner congnoissance

Je ne t’escry des Dames de Paris,

Tu en sçais plus que leurs propres Maris

Je ne t’escry, qui est rude, ou affable,

Mais je te veulx dire une belle fable :

C’est assavoir du Lyon, & du Rat.

Cestuy Lyon plus fort qu’un vieulx Verrat,

Veit une fois, que le Rat ne sçavoit

Sortir d’ung lieu, pour autant qu’il avoit

Mangé le lard, & la chair toute crue

Mais ce Lyon (qui jamais ne fut Grue)

Trouva moyen, & maniere, & matiere

D’ongles, & dentz, de rompre la ratiere

Dont maistre rat eschappe vistement

Puis mist à terre ung genoul gentement,

Et en ostant son bonnet de la teste,

A mercié mille fois la grant Beste

Jurant le dieu des Souriz, et des Ratz,

Qu’il luy rendroit. Maintenant tu verras

Le bon du compte. Il advint d’adventure,

Que le Lyon pour chercher sa pasture,

Saillit dehors sa caverne, & son siege

Dont (par malheur) se trouva pris au piege,

Et fut lié contre un ferme posteau.

Adonc le Rat, sans serpe, ne cousteau,

Y arriva joyeulx, & esbaudy,

Et du Lyon (pour vray) ne s’est gaudy

Mais despita Chatz, Chates, & Chatons,

Et prisa fort Ratz, Rates, & Ratons,

Dont il avoit trouvé temps favorable

Pour secourir le Lyon secourable

Auquel a dit : tays toy Lyon lié,

Par moy seras maintenant deslié

Tu le vaulx bien, car le cueur joly as.

Bien y parut, quand tu me deslias.

Secouru m’as fort Lyonneusement,

Ors secouru seras Rateusement.

Lors le Lyon ses deux grands yeux vestit,

Et vers le Rat les tourna ung petit,

En luy disant, ô pauvre vermyniere,

Tu n’as sur toy instrument, ne maniere,

Tu n’as cousteau, serpe, ne serpillon,

Qui sceut coupper corde, ne cordillon,

Pour me getter de ceste estroicte voye.

Va te cacher, que le Chat ne te voye.

Sire Lyon (dit le filz de Souris)

De ton propos (certes) je me soubris

J’ay des cousteaulx assez, ne te soucie,

De bel os blanc plus tranchant qu’une Cye

Leur gaine c’est ma gencive, & ma bouche

Bien coupperont la corde, qui te touche

De si trespres : car j’y mettray bon ordre.

Lors Sire Rat va commencer à mordre

Ce gros lien : vray est qu’il y songea

Assez long temps : mais il le vous rongea

Souvent & tant, qu’à la parfin tout rompt :

Et le Lyon de s’en aller fut prompt,

Disant en soy : nul plaisir (en effect)

Ne se perdt point, quelcque part où soit faict.

Voylà le compte en termes rimassez

Il est bien long : mais il est vieil assez,

Tesmoing Esope, & plus d’ung million.

Or viens me veoir, pour faire le Lyon

Et je mettray peine, sens, & estude

D’estre le Rat, exempt d’ingratitude :

J’entends, si Dieu te donne autant d’affaire,

Qu’au grand Lyon : ce qu’il ne vueille faire.

 

1) Nous reproduisons ici toute l’épître ( pièce de vers dédicatoire, ici sorte de supplique ) adressée par Clément Marot à son ami Lyon Jamet. Sa langue n’a pas tellement besoin d’être traduite ; aussi avons-nous conservé l’orthographe ancienne ainsi que l’emploi typographique de l’esperluette. Il s’agit là d’une œuvre de circonstance. Clément Marot s’était retrouvé en prison au Châtelet pour n’avoir pas fait carême. ( "pour autant qu’il avait / mangé le lard et la chair toute crue" )

 

 

LE LION ET LE RAT

 

 

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde

On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

De cette vérité deux fables feront foi,

Tant la chose en preuves abonde.

 

Entre les pattes d’un Lion

Un Rat sortit de terre assez à l’étourdie.

Le roi des animaux, en cette occasion,

Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.

Ce bienfait ne fut pas perdu.

Quelqu’un aurait-il jamais cru

Qu’un lion d’un rat eût affaire ?

Cependant il advint qu’au sortir des forêts

Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.

Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents

Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

 

Certes, on pourrait reprocher à Marot d’être plus long que La Fontaine, mais son texte – sa langue – est d’une telle richesse. Il invente des mots, ( des adverbes : rateusement, des diminutifs : serpillon ), il fait preuve de beaucoup d’humour et d’une grande habileté. (Les derniers vers de l’épître en attestent.)

Cette fois, nous devons bien en convenir, c’est chez Marot que les deux personnages, le Rat et le Lion sont le mieux campés.

La Fontaine, nous l’avons dit marque le point culminant de la fable. Sans doute parce qu’il les a multipliées comme avant lui Esope et Phèdre. Mais aussi parce qu’il nous a laissé nombre de petits chefs-d’œuvre. De ce fait, il a exercé une grande influence, jusqu’à nos jours, auprès de ceux qui ont voulu continuer ce genre littéraire : beaucoup s’y sont essayés, en reprenant les mêmes sujets sous d’autres formes, en prolongeant l’histoire, sous forme de revanche, en inventant leurs propres sujets. Je prendrai deux exemples.

Ainsi José Corti, en 1962, publie le Treizième Livre des fables. Parmi celles-ci, le Dindon, le Loup et les Moutons, dont voici des extraits :

 

Un loup des plus cruels eut un jour l’impudence

D’oser solliciter un brevet d’innocence.

Il ne pouvait plus souffrir que l’on die

Qu’un sien aïeul avait accusé faussement,

– Pour donner à son crime un air de châtiment –

Un agneau dont la vue excitait son envie,

Et voulait que Thémis, de cette calomnie,

Ainsi que de maints noirs forfaits

Dont on chargeait sa conscience,

Fit raison en un grand procès.

 

Voilà le décor planté comme dans toute bonne fable. On réunit les animaux. Ceux-ci n’osent pas accuser le loup. Seuls le Dindon et le Mouton se lèvent Pour accuser notre égorgeur.

 

C’est le Renard qui est chargé, par le Dindon, d’assurer leur défense, et comme on pouvait s’y attendre, en tant que cousin germain du Loup, il fait l’éloge de celui-ci au lieu de l’accabler :

Dindon courba la tête et, trop tardivement,

comprit qu’il est d’une imprudence extrême

De confier son sort à son pire ennemi..

A la demande du Mouton, on fait alors venir tous les autres moutons qui se font justice eux-mêmes :

A la fin étranglé par la gent moutonnière,

Son corps s’en va glisser au fil de la rivière

Qu’un agneau de son sang, avait teinte autrefois.

 

On le voit, José Corti fait maintes allusions aux Fables de La Fontaine ( d’où le titre de Treizième livre des Fables) : ainsi désigne-t-il le renard chargé de plaider par : amateur de raisin. Il va jusqu’à employer l’expression de gent moutonnière. La Fontaine parle, lui de gent trotte-menu (Livre III - Fable 18 - Vers 41) ou encore de gent marécageuse (III, 4, 7). Mais c’est surtout les rythmes alertes, ou au contraire plus posés, de La Fontaine que José Corti retrouve avec aisance. On peut seulement lui reprocher la longueur de son texte : quatre pages. (Que nous reproduisons plus loin avec l’aimable autorisation des éditions José Corti.)

 

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C’est vrai qu’en matière de Fables, il est difficile de faire court. Voici mon second exemple de prolongement.

 

LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS

 

Une Tortue était, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.

Volontiers on fait cas d’une terre étrangère ;

Volontiers gens boiteux haïssent le logis.

Deux Canards, à qui la commère

Communiqua ce beau dessein,

Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire.

« Voyez-vous ce large chemin?

Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique :

Vous verrez mainte république,

Maint royaume, maint peuple ; et vous profiterez

Des différentes mœurs que vous remarquerez.

Ulysse en fit autant. » On ne s’attendait guère ,

De voir Ulysse en cette affaire.

La Tortue écouta la proposition.

Marché fait, les Oiseaux forgent une machine

Pour transporter la pèlerine.

Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton.

« Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise. »

Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.

La Tortue enlevée, on s’étonne partout

De voir aller en cette guise

L’animal lent et sa maison,

Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.

 

C’est vrai qu’en matière de Fables, il est difficile de faire court. Voici mon second exemple de prolongement.

 

LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS

 

Une Tortue était, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.

Volontiers on fait cas d’une terre étrangère ;

Volontiers gens boiteux haïssent le logis.

Deux Canards, à qui la commère

Communiqua ce beau dessein,

Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire.

« Voyez-vous ce large chemin?

Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique :

Vous verrez mainte république,

Maint royaume, maint peuple ; et vous profiterez

Des différentes mœurs que vous remarquerez.

Ulysse en fit autant. » On ne s’attendait guère ,

De voir Ulysse en cette affaire.

La Tortue écouta la proposition.

Marché fait, les Oiseaux forgent une machine

Pour transporter la pèlerine.

Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton.

« Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise. »

Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.

La Tortue enlevée, on s’étonne partout

De voir aller en cette guise

L’animal lent et sa maison,

Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.

Mais mon cheval et moi, témoins de cette scène,

Qui parlons sans crainte et sans haine,

Nous devons à la vérité

De rétablir les faits pour la postérité.

La tortue, lâchant le bâton,

Ne fut jamais victime que du ridicule,

Et celui-ci, vous dira-t-on,

N’a jamais fait mourir la moindre libellule,

Ni le plus petit artison 1

Une tortue à plus forte raison !

Elle fit un plouf ! dans la mare,

Qu’elle venait à peine de quitter,

Sous les lazzi de tout un peuple hilare –

Encor sous le frisson – qui venait d’assister

Au tout premier vol de l’histoire ;

De celle des tortues s’entend.

Certes ce ne fut pas la gloire,

Sans doute on en glosa longtemps,

D’autant plus que la carapace,

En touchant de l’eau la surface,

éclaboussa tous les curieux

Qui bayaient grands leurs yeux.

De drame point ! Seulement quelque émotion

Comme il sied au bourgeois en telle occasion.

En clair, notre tortue retourne à ses salades

Qu’elle n’aurait pas dû quitter,

( Mais voilà, on se laisse exciter.)

Et ne conserve plus de sa folle escapade

Qu’un agréable souvenir.

Comme quoi, tout peut bien finir !

Il n’y a que les journalistes,

( Et Jean de La Fontaine en a grossi les listes. )

Qui se plaisent toujours à gonfler et noircir

Les mêmes faits. Peut-être aussi les moralistes !

 

Mes amis, vous pouvez me croire

Tous les journaux en ont parlé

Elle est dans toutes les mémoires

Cette tortue qui pour la gloire

Un jour décida de voler.

 

 

1 artison : petit insecte qui se développe sur le fromage.

 

 

Les successeurs

de

la fontaine

 

 

FLORIAN

 

Jean-Pierre Claris de Florian est né le 6 mars 1755, dans le château qui porte son nom, près d’Anduze, petite ville située au pied des Cévennes, à l’orée du Languedoc. Orphelin de bonne heure, il fut élevé par son grand-père, vieillard aimable et instruit et il passa deux années de son enfance chez Voltaire. Le patriarche de Ferney, séduit par sa vivacité d’esprit et sa grâce, son amabilité, l’avait surnommé Florianet. Il fut ensuite, vers l’âge de quinze ans, page chez le duc de Penthièvre et devint de celui-ci le gentilhomme ordinaire.

On le retrouve, bizarrement, à l’école d’artillerie de la Bapaume, dans le Pas de Calais et, plus tard, officier de dragons, sans pour autant le voir changer de sentiments ni renier son amour pour les lettres.

Il connut très vite le succès avec ses contes, ses nouvelles, dont il renouvelle le genre, ses pastorales, principalement Galatée, ses romans poétiques, Numa Pompilius et Gonzalve de Cordoue. C’est encore lui l’auteur de la chanson bien connue : " Plaisir d’amour ", mise en musique par Martini. L’Académie française qui l’avait couronné pour son églogue intitulé Ruth, en 1788,

l’accueillit au fauteuil de Buffon, la même année, alors qu’il n’avait que trente-trois ans. Quant aux Fables, il ne les publiera qu’en 1792, en pleine Révolution, dont il accepta tout d’abord les principes : il considérait l’éducation nationale comme l’une des priorités. Sous la Terreur, il ira jusqu’à prononcer un discours " pour l’ouverture des écoles primaires de la section de la Halle au blé. "

Arrêté comme suspect le 27 messidor de l’an II, il languit en prison plus d’un mois avant d’être relâché. Il ne se remet pas de cette incarcération et il meurt à Sceaux le 13 septembre 1794. On peut voir sa tombe dans le cimetière de cette ville.

 

....

 

Le livre contient en tout 175 pages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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