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AVANT-PROPOS

 

Dans ses écrits sur la littérature, Baudelaire revendique le droit de se contredire. Je me permets d’en faire autant, vu que j’ai passé plus d’années sur cette terre que mon grand aîné. On se contredit d’autant plus qu’on vit plus longtemps. D’autant plus qu’avec la vieillesse on ne se souvient plus de ce qu’on a affirmé haut et fort. Mais il faudrait parler un peu de ce qu’est la contradiction. Elle peut être un sage ajustement de ce que l’on croit, de ce que l’on pense au fil des années qui passent. Mais ce n’est pas que cela. On a aussi ses humeurs et elles sont souvent contradictoires, d’un moment à l’autre. Il en va de même dans les écrits que l’on signe. Et le mot signature est significatif de quoi ? On se laisse emporter par sa pensée qui vole, comme l’a si bien dit Julien Green. Et même si les mots vont à pied, comme le dit encore l’auteur d’Adrienne Mesurat, ils nous entraînent souvent au-delà de ce que nous voudrions.

Faut-il faire une moyenne pour peser le vrai ? Sans doute. On obéit à ses tendances. A ses pulsions parfois. Souvent ? Possible ! Les tenants et aboutissants de notre environnement, de son événementiel nous conditionnent plus ou moins. Déterminent sinon nos engagements, nos opinions.

On peut avoir telle ou telle réaction aujourd’hui et revenir le lendemain sur ce que qu’on affirmait la veille. Nos convictions immuables sont peu nombreuses. Quelques valeurs suprêmes sont les seules invariables de notre comportement.

A mon âge, je revendique aussi le droit de me répéter. J’ai sans doute trop écrit, plus encore que publié. Les thèmes de la vie ne sont pas si nombreux et quoi de plus naturel qu’ils soient souvent récurrents dans ce qui nous vient à l’esprit et passe par le bout de la plume. Pour le lecteur, cela peut-être un amusement que de voir comment le même sujet a été traité de façon différente, à plus ou moins d’intervalle. Pour ma part, je ne cherche pas à faire l’exégèse de ce que j’ai écrit. Cela n’en vaut pas la peine.

L’écriture est d’abord un besoin, une sorte de manie et elle le reste. Elle est aussi la drogue, addictive ô combien ! qui nous permet de nous extraire, momentanément, du réel dans lequel nous baignons, nous nous dépatouillons, dont nous tentons d’émerger. Elle nous permet à tout le moins d’oublier les vicissitudes de l’existence, de faire comme si nous les oubliions.

Nous sommes tous prisonniers de la Fillette bleue et nous n’en sortons qu’à la mort ; en attendant, nous tâchons que cette prison soit le plus possible dorée, ce qui n’est pas évident pour tout le monde.

 

¯

DÉMOLITIONS

 

 

N’est-ce pas beau d’avoir perdu

Mes illusions comme des graines

Que j’ai semées au champ des peines

En pensant reprendre mon dû ?

 

Mon zèle, toujours assidu,

Croyait avoir les poches pleines,

Qui pondait les mêmes rengaines

Des airs mille fois entendus.

 

J’ai promis au vent qui décoiffe

La sécheresse qui m’assoiffe

Mais il n’a fait qu’un long soupir ;

 

Il n’y avait plus rien à vendre,

Stérile restait mon désir,

Mon orgueil n’était plus que cendre.

 

 

 

 

 

 

LÀ-HAUT AUSSI...

 

 

Autour du lac, les linaigrettes

Tissent leur collier de coton ;

Ton visage pur se reflète,

Tes yeux ressortent, ton sur ton.

 

Amoureux fou de ta binette,

Sans souci du qu’en-dira-t-on,

Le ciel plonge dans tes mirettes

Avec son troupeau de moutons.

 

J’aimerais bien, comme Narcisse

Qu’ici mon voyage finisse

Et me perdre dans ta beauté,

 

Plutôt que dans ma propre image

Afin que l’infinie clarté

Nous entraîne dans son sillage.

 

 

 

 

SEULE L'ESPÉRANCE

 

 

Elle est si ténue l’espérance

Qui s’agite au bout de son fil.

La mort n’est-elle qu’un exil,

Le point d’orgue à notre arrogance ?

 

Le rideau sur une autre chance

Subitement se lève-t-il ?

Sur ta joue vient de choir un cil,

Fais un vœu : c’est ton jour de chance !

 

Qu’y a-t-il de l’autre côté ?

Ici, nos vieux jours sont comptés,

C’est notre tour de disparaître,

 

De tous les nôtres séparés ;

Mais nous retrouverons peut-être

Tous ceux que nous avons pleurés.

 

 

 

 

DÉSASTRE PROGRAMMÉ

 

 

Il n’y a plus de poésie

Dans le siècle que nous vivons ;

Petit à petit nous crevons

D’égoïsme et de frénésie.

 

Qui sait pour quelle parodie

Chaque matin nous nous levons ;

Nos jours glissent sur du savon

Et la terre nous répudie.

 

Nous sommes sourds à ses appels

Et nous nous croyons immortels

Jusqu’à ce que lâchent les cordes

 

Auxquelles nous sommes liés,

Sinistres, misérables hordes

Qui refusons de nous plier.

 

OSMOSE

 

 

L’amour est ma raison de goûter l’existence ;

Il n’est rien de plus beau lorsqu’il est partagé

Et, bien mieux que des mots, les regards échangés

Lui donnent de grandir l’irrésistible chance.

 

On le sent s’infiltrer dans toute sa substance,

On vit dans une bulle aux contours ombragés ;

Sans qu’on sache comment, les rêves engrangés

Lui donnent chaque jour sa divine pitance.

 

Comme de vrais aimants se rapprochent les corps,

S’enlacent pour jouir de la petite mort,

Mais c’est dans l’idéal que la fusion s’opère ;

 

La chair est dépassée par les élans du cœur ;

Et, le temps suspendu sans qu’on ait rien à faire,

De chaque instant fabrique un instant de bonheur.

 

 

 

 

 

TES ABYSSES

 

 

Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

Quand je me penche trop sur leur miroir d’azur ;

Leurs flots sont si mouvants ou leurs reflets si purs,

Leurs bords si mystérieux, que c’est à n’y pas croire.

 

Tes cils sont des roseaux qui content notre histoire

Lorsque le vent frissonne et que l’air est plus dur ;

Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire

Quand je me penche trop sur leur miroir d’azur.

 

Les promesses du soir ensemble y viennent boire,

Les projets du matin s’y sentent presque mûrs ;

Mon rêve s’y promène et je me sens plus sûr

Sitôt que leurs embruns chassent mes idées noires,

Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire.

 

 

 

 

 

PRÉMICES

 

 

Il va revenir le printemps

Que la terre sort de ses manches,

Brodées de coucous, de pervenches :

ça fait tant de jours qu’on l’attend !

 

L’hiver n’en a plus pour longtemps,

Bientôt va poindre au bout des branches

Une tout autre neige blanche...

Nos cerisiers ? toujours partants !

 

Les filles, repassez vos robes,

Il ne faut plus qu’on nous dérobe,

Vos charmes enfouis par le froid...

 

Quelques semaines de patience

Et vous verrez la différence :

De nouveau, l’amour sera roi.

 

 

 

 

ISBN 978-2-35157-224-5

 

en couverture :

La Fillette bleue - ( sérigraphie - 30 x 40 )

 

 

Achevé d'imprimer le 30 Novembre 2010.

Dépôt légal Quatrième trimestre 2010

 

éditions SAJAT

37 rue Henri Sellier

18000 BOURGES

 

Le brontosaure a tiré quelques exemplaires de ce recueil

sur papier Opale ivoire d’Arjo Wiggins

marqués de A à N,

en son atelier des Granges-le-Roi.

Texte composé en caractères Garamond italique de corps 16

 

 

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