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Égalité ! le second élément du triptyque que nous nous sommes donné pour mission d’étudier. Celui qui occupe le panneau central, le plus important si on se réfère à la peinture, celui sur lequel se referment les deux autres volets. Le signe égale en mathématiques dit bien ce qu’il veut dire mais dans la société humaine, il n’en va pas de même. Et pourtant à lui seul il est aussi important que les deux autres. Sans égalité, sans un souci d’égalité, la liberté et la fraternité n’existent plus.

L’égalité est maintenant établie à peu près – pas dans tous les pays encore, loin de là – dans les textes mais il en va bien autrement dans les faits. Dans les textes, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 a simplement oublié les femmes. Elle n’ont acquis l’égalité en matière de vote qu’en 1944. L’égalité des salaires, pour un poste équivalent, a bien été prononcée mais elle est loin d’être appliquée. Les femmes sont moins bien payées que les hommes à niveau identique d’études et d’emploi. Le gouvernement actuel signe des décrets qui devraient faire bouger les choses mais il y a toujours loin entre la loi et son application. Nous verrons bien lorsque sortiront les prochaines statistiques. La femme n’est pas non plus l’égale de l’homme en ce qui concerne les tâches domestiques même si cela a pas mal changé. Il reste encore des noyaux durs de résistance à cette évolution.

L’égalité est la notion la plus difficile à faire admettre. L’esclavage qui était considéré comme un phénomène "normal" dans l’antiquité – besoin de main d’œuvre oblige – a perduré durant le Moyen-âge où les serfs et serves étaient, selon l’expression consacrée, " taillables et corvéables à merci ". La Révolution française de 89 l’abolira mais Napoléon 1er le rétablit dans les colonies. Il faudra attendre 1848 et l’action éminente de Victor Schœlcher pour qu’il disparaisse totalement. Aux états-Unis, l’esclavage des noirs fut la cause de la Guerre de sécession, entre les états du nord, abolitionnistes, et ceux du sud, esclavagistes. Les fédéraux ne triomphèrent seulement qu’en 1865. Le conflit avait fait six cent mille morts. Mais la cause était loin d’être entendue. La discrimination se poursuivit jusqu’au milieu du siècle dernier sous la forme de l’apartheid. Celui-ci exista également en Afrique du Sud jusqu’à une date avancée.

Tout cela semble de l’histoire ancienne diront certains. En 1943 on a connu en France, avec la bénédiction du régime de Vichy, le S. T. O., service du travail obligatoire qui obligeait nos gars de vingt ans à s’expatrier en Allemagne pour travailler dans les usines d’armement et autres. Soi-disant, c’était pour assurer la relève des prisonniers que le Reich était censé relâcher, ce qui fut loin d’être toujours le cas. Beaucoup de ces jeunes gens sont revenus avec une santé ruinée. Avant d’être l’extermination des juifs, la Shoah fut d’abord une forme d’esclavage pour ceux que l’on faisait travailler de façon sordide jusqu’à épuisement. C’est bien la négation de l’égalité qui est cause de tout cela. Le racisme est-il autre chose que la négation de cette égalité, inscrite avant tout dans notre génome ? Génome qui affirme désormais avec certitude qu’il n’y a qu’une espèce d’hommes. Fini le temps des races inférieures décrétées par le régime nazi.

 

Somme toute l’égalité entre les hommes est toujours susceptible d’être remise en question, chez nous pas dans les droits certes, mais qu’en est-il dans les faits ?

Elle l’est bien évidemment lorsque des jeunes gens se font contrôler des dizaines de fois à cause de leur faciès. Toutes proportions gardées, ce n’est pas mieux que ce qui s’est passé pour les juifs dont on avait établi les caractères raciaux, diffusés par affiches, afin qu’ils fussent repérés et chassés de leur emploi puis de leur habitation, avant de subir le dernier voyage, celui de Nuit et Brouillard.

Aujourd’hui une autre forme d’inégalité se pose : celle devant le mariage. On a mis longtemps à soulever le problème. Beaucoup sont opposés au mariage homosexuel. Des gens bien soucieux de respecter une tradition obsolète, quand on sait que plus d’un mariage sur deux finit par un divorce. La différence dérange et pourtant on lui refuse les droits qui la rapprocheraient de l’égalité. Et les enfants dans tout cela, sont-ils pris en compte ? A-t-on quelque préoccupation pour leurs propres droits ? Pourquoi les deux membres d’un couple qui se sépare, quel qu’il soit, quel qu’il ait été, n’auraient-ils pas les mêmes droits sur la famille qu’ils ont constituée lors de leur union ? On se heurte comme toujours aux tabous et aux dogmes, dont la stupidité sera montrée un jour, comme l’a été celle qui condamna Galilée à faire amende honorable en place publique pour avoir énoncé que la terre tournait.

 

Mais il convient peut-être aussi de dire ce qu’est l’égalité. L’égalité naturelle n’existe pas. Ce qui existe c’est la diversité, la vraie richesse puisqu’il est prouvé que c’est par elle que s’opèrent les mélanges biologiques qui permettent d’améliorer les espèces. C’est cette diversité qui a permis dans nos sociétés de faire apparaître la division du travail qui fut une bonne chose tant qu’il s’est agi d’exploiter les qualités et les talents de chacun. Qui a été dévoyée avec le travail à la chaîne, l’ouvrier n’ayant plus l’impression d’œuvrer mais juste le sentiment d’être un maillon, un élément de la mécanique, au mieux un robot.

L’égalité naturelle n’existe pas : il y a des boiteux, des myopes, des simples d’esprit, des handicaps de toutes sortes. La société se doit de les reconnaître et de rétablir un minimum d’égalité compensatoire à l’égard de toutes ces personnes défavorisés par la vie. Cela se fait mais de façon encore bien imparfaite. On réserve des places de parking pour les handicapés sur nos places publiques. On ménage des rampes d’accès dans les écoles et les bâtiments officiels pour que tout un chacun puisse les fréquenter. Une réalisation formidable et hautement symbolique est celle du Handisport qui réunit maintenant des athlètes de haut niveau mais frappés par la vie, qui ont grand plaisir à se mesurer entre eux.

Par ailleurs, vouloir décréter l’égalité à tout prix est une ineptie : c’est un peu ce que l’on a fait en voulant faire accéder au baccalauréat quatre-vingts pour cent d’une classe d’âge. Cela ne tenait pas compte des aptitudes de chacun, des goûts de chacun, des appétits de chacun, des facultés intellectuelles de chacun, de la vitesse à laquelle chaque individu acquiert les notions qu’on veut lui voir posséder. L’éducation nationale souffre en grande partie de cette erreur que personne ne veut reconnaître et remettre en cause. La première des égalités en matière d’instruction, c’est la possession de la lecture et tout le monde ne l’acquiert pas au même rythme. C’est une hérésie que de ne pas accepter cela. Et c’est une hérésie que de vouloir faire entreprendre des études secondaires à ceux qui n’ont pas franchi la barrière des études primaires et sont loin de posséder les notions fondamentales qu’on doit y acquérir.

Un autre aspect de l’inégalité, c’est celle qui provient des privilèges de toutes sortes qui se sont établis au fil des années dans notre bonne république. Privilège des élus qui cumulent les mandats et les fonctions rémunérées, qui profitent à bas coût, voire gratuitement des services de l’état. Privilège que donne l’argent, responsable de l’inflation ( Loi de l’offre et de la demande ) par le biais d’un pouvoir d’achat exorbitant, responsable de la paupérisation grandissante, de l’envol des loyers qui fait que même un travailleur régulier ne parvient plus à se loger. Jamais il n’y a eu autant de différence ( donc d’inégalité ) entre les nantis et ceux qui n’ont pas grand-chose. Voire moins que rien. Autant d’inégalités. L’abolition des privilèges prononcée par l’Assemblée constituante dans la nuit du quatre août 1789 est quasiment devenue caduque, sinon dans la loi, du moins dans les faits. En 1790, les nobles ont quitté le pays parce qu’ils refusaient le principe d’égalité. De nos jours, on compte de nouveaux émigrés qui s’expatrient pour ne pas payer l’impôt, ne pas apporter la contribution à l’effort national inscrit dans la constitution qui dit que chacun doit participer à la conduite de l’état selon ses moyens. Compte tenu des progrès, un privilégié du XXIe siècle l’est beaucoup plus que le Roi soleil, lui-même, qui voyageait en carrosse, doré certes, mais avec le risque d’une rupture d’essieu et l’enlisement dans des routes non pavées. Aujourd’hui, les privilégiés se déplacent en jets privés. Certains ne paient pas le T.G.V. Vous ne les rencontrerez jamais dans le métro ou le R.E.R. Ils ont des voitures de fonction avec chauffeur. Et que dire de la santé qui s’exerce de plus en plus à deux, voire trois vitesses. Les dépassements d’honoraires scandaleux font que tout le monde n’a pas le même accès aux soins. Nos grands professeurs connaissent pourtant le serment d’Hippocrate pour l’avoir prononcé, qui prescrit à chaque docteur en médecine de soigner le pauvre comme le riche.

Jusque-là, la société a tenu parce qu’il existait une hiérarchie aux paliers relativement équidistants. On nous apprenait à regarder en dessous de soi pour apprécier ce qu’on avait, et au-dessus de soi, seulement pour nourrir son espoir de franchir un échelon. Aujourd’hui, il y a deux grands trous dans l’échelle : un premier entre la classe moyenne et celle des pauvres, un autre entre la classe moyenne et les riches. Ce sont ces deux fossés qui risquent, à terme, de faire capoter l’équilibre. Et lorsqu’un équilibre se rompt, il a toujours tendance à se rétablir, mais après les dégâts que l’on sait.

 

Pour conclure je veux souligner l’esclavage moderne qui touche les enfants qu’on emploie dans des mines pour exploiter des filons trop étroit pour laisser le passage à un adulte, ou dans des usines sordides où aucune règle la plus élémentaire de sécurité n’est observée, ce qui constitue sans doute l’aspect le plus terrible, le plus criant de l’inégalité.

 

Le tannage des peaux

 

Quand je vois ces enfants, les pieds et les mains nus

Patauger tout un jour dans des produits toxiques

Pour qu’on puisse à bas prix nous payer nos tenues

Dans des cuirs négociés par des marchands iniques,

 

La colère me prend, longtemps entretenue...

Qui exerce sur eux ce pouvoir tyrannique ?

— La faim ! Il faut manger ! Quand on n’a que des briques,

On vend son pauvre corps pour un maigre menu.

 

Pour vingt euros par mois s’empoisonnent ces gosses,

( Et chez nous, pour combien une caissière bosse ? )

Nos vêtements pourris leur causent des cancers.

 

Jésus, qu’est devenue cette étoile brillante

Qui conduisait vers toi les bergers ? Quelle pente

Vertigineuse a fait de la terre un enfer ?

 

 

Louis Delorme

Article paru dans La Braise et l’étincelle

À propos d'égalité

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