Au pied du suc
A propos de la grammaire
La maman d'une de mes élèves, professeur de français au lycée de Dourdan, me disait un jour : « Vous et moi, sommes les seuls à pratiquer l'analyse logique dans nos classes. Vous en CM 2 et moi en classe de première. Entre les deux, rien ! Comment voulez-vous que les enfants comprennent leur langue sans grammaire ? » Aujourd'hui, ladite grammaire, on veut la simplifier, la rendre simpliste au besoin, car nos gosses ne sont plus capables de faire un effort. La cancritude, pour parler comme l'une de nos ministres, est à l'honneur.
A la trappe, le vieux C. O. D. Complément d'Objet Direct. La phrase suivante : « Les poules auront des dents » ne comporte plus que le sujet : les poules, et le prédicat : auront des dents.» On nous l'a expliqué à la télé, au journal de vingt heures. Démonstration à l'appui par un de ces intellectuels bouffis ( de je ne sais pas quoi mais bien payés). Au tableau qui plus est. Après cela, vous irez faire du latin. Oh ! pardon, c'est vrai que cette langue, plus que morte, n'est plus en odeur de sainteté. Mais pourquoi donc aussi s'est-elle chargée de donner naissance à la nôtre ? Nous n'avions pas besoin de ça ! Après cela, vous irez faire de l'allemand ( notre principale partenaire économique est encore l'Allemagne que je sache et il n'est pas encore question de Deutschexit ), vous irez apprendre à vos élèves l'accusatif, à le distinguer du datif et du génitif. En notre bon français, vous irez apprendre qu'avec le verbe avoir le participe passé s'accorde avec le... ( je n'ai plus le droit de le dire ) si celui-ci est placé devant le verbe. Vous irez faire comprendre que dans la phrase : « Les grains que j'ai donnés aux poules étaient du froment » le participe donnés s'accorde avec le pronom relatif que qui a la même personne, le même genre et le même nombre que son antécédent : les grains. Quant à oser parler d'attribut à propos de du froment, il n'y faut pas songer. Mais je déraille car si je retournais dans mon bon CM 2, je n'aurais plus à enseigner cela. Peut-être, si on me parachutait dans une classe de quatrième ou troisième... et encore ?
On n'a pas cessé, depuis quarante ans, de remettre à plus tard les apprentissages, que ce soit en mathématiques ou en français. Nos grands pédagogues, qui font aujourd'hui figure de dinosaures, avaient défini des seuils pour chaque acquisition. Il ne fallait, certes pas, bousculer ces seuils mais tâcher de les tenir. Il y avait une progression à suivre : de la classe enfantine ( je pense à nos classes uniques sans maternelle ) jusqu'au CM 2. Aujourd'hui, on renonce à tout et, d'abandon, en abandon, on s'achemine vers un monde où il faudra tout apprendre à l'âge adulte parce que l'école ne nous aura rien appris. Un de mes anciens directeurs, dans l'école où j'avais fait mes premières armes, avait coutume de dire, en parlant d'élèves qu'on avait laissé croupir dans leur paresse : « Ils sont comme ces vieux chevaux de labour qu'on a dû réformer. Ils sont vieux avant l'âge, incapables de réagir, incapables d'effort.» Ils étaient rares à l'époque, mais je crains qu'ils ne soient devenus au fil du temps la majorité, la totalité demain. C'est ce que veulent sans doute nos dirigeants qui ont bénéficié, eux, soit d'une école qui remplissait encore sa fonction : instruire, soit de cours privés parce que leurs parents étaient des nantis. Quand tous les hommes seront des abrutis, ils seront plus maniables, plus faciles à orienter, à mener par le bout du nez. Que sont en train de devenir, les principes énoncés par la Révolution française ?
Lors de ma première classe en 1956-57, à Montmorency, j'avais quarante-trois élèves en deux sections : CM 1 et CM 2. Avec moins d'enfants, ça aurait été mieux. Mais la plupart d'entre eux ont passé, deux ans plus tard, leur certificat d'études et celui-ci valait bien le brevet des collèges d'aujourd'hui, qu'on prétend pouvoir donner maintenant à cent pour cent d'une classe d'âge. On a largement diminué le nombre d'enfants dans les classes mais on a laissé se dégrader l'autorité. Il n'y a plus de discipline et sans elles, il ne peut y avoir d'enseignement. Il y a d'un côté l'élève, celui que l'on est chargé d'élever à un rang supérieur et de l'autre le maître, celui qui sait et qui doit transmettre ce savoir. Il faudra bien revenir à cette idée fondamentale si l'on veut que la situation s'améliore.
Naguère, les élèves qui avaient obtenu leur Certificat d'études Primaires élémentaires possédaient, dans leur langue mais aussi dans bien d'autres domaines, tous les rudiments nécessaires pour se débrouiller dans la société, pour devenir de bons autodidactes capables de se perfectionner. Je sais que le monde a changé mais sans effort, on n'arrive à rien. La France se classe de plus en plus mal en matière d'éducation. Une étude récente montre que le quotient intellectuel a baissé de trois points. On a quand même gâché pas mal de choses et celui qui redressera la situation est loin d'être au pouvoir. Il n'est peut-être pas même né.
Louis Delorme,
simple instit.