Au pied du suc
PREMIER DÉPART
Refrain
On part, on laisse son enfance,
On ne prend que les souvenirs
Ces lieux gardent-ils une chance
De nous voir un jour revenir ?
I
J’ai quitté la petite école
Où j’ai découvert le français
Et les histoires sans paroles :
Disons tout le peu que je sais.
II
J’ai déserté les bords de Loire
Où nous passions tous nos étés ;
Il est inscrit dans ma mémoire
Que c’était pour l’éternité.
III
Premiers émois de l’âge tendre !
Très vite on se laisse griser
A peine si l’on ose prendre
Par surprise un premier baiser !
IV
J’avais déjà quelque faiblesse
Pour la prunelle de tes yeux ;
J’y cherchais, je crois, la promesse
Du coin le plus joli des cieux.
V
Le temps qui s’est fait la valise
A lavé tes yeux de velours ;
Si ma chanson s’est faite grise,
Il n’a pas tari, notre amour !
VI
Il est loin le temps de l’enfance,
Ne restent que les souvenirs !
Ces lieux gardent-ils une chance
De nous voir un jour rajeunir ?
VII
C’était l’heureux temps des baignades
Dans le fleuve non pollué
Et des petites incartades :
Que les mœurs ont évolué !
VIII
C’était le temps de l’insouciance
des projets à n’en plus finir ;
J’en souris encor quand j’y pense :
La foi, qui sait la retenir ?
IX
Puis vint le temps béni des frasque
Qu’on partage avec les copains ;
Mais la vie nous crie : « Bas les masques !
Cessez d’être des galopins ! »
X
Alors, on part à l’aventure,
Si cette vie veut bien de nous ;
On va gagner, on se le jure
Sans jamais se mettre à genoux.
XI
Elle s’est égarée, l’enfance !
On ne la voit plus revenir ;
La vie n’a qu’un temps de vacances,
Il faut bien nous en souvenir.
XII
Elle fuit bien vite l’enfance,
On aurait dû nous prévenir ;
On a manqué de vigilance
On n’a pas su la retenir.
T'AIMER DE TOUT MON CORPS
T’aimer de tout mon corps et de toute mon âme
Pour me fondre avec toi jusqu’à la fin des temps ;
N’être plus que moitié d’homme et toi, moitié femme,
N’être chacun de nous que ce que l’autre attend.
Voir, petit à petit, se souder nos deux flammes
Vouloir ce que tu veux, penser ce que tu clames
Vivre le cœur toujours ouvert à deux battants
Ne former avec toi plus qu’un seul existant,
Pour l’autre être miroir dans lequel il se pâme,
Et pour ce qu’il propose être toujours partant.,
S’aimer de tous nos corps mais aussi de nos âmes,
Ensemble nous unir jusqu’à la fin des temps.
Vivre ce que tu vis, même si c’est un drame,
Consommer chaque jour et le payer comptant,
être ton chevalier et te savoir ma dame
Et prendre tes baisers comme seul excitant,
Aller dans le bon sens, jamais à contre rame,
Retrouver le parfum sacré de nos vingt ans
Nous étourdir d’amour plutôt que de jusquiame,
Ne plus craindre les coups de froid ni les autans,
Nous aimer comme si nous n’étions plus qu’une âme,
Nous fondre en un seul corps jusqu’à la fin des temps.
Avoir en notre amour la foi que rien n’entame
Et ne jamais gâcher, ne fût-ce qu’un instant,
Savoir toujours saisir ce qu’il y a d’épatant
Dans ce qui s’offre à nous sans entendre les brames
Et donner sans compter ce que vivre réclame,
Nous fondre en un seul corps jusqu’à la nuit des temps,
Nous aimer comme si nous n’étions plus qu’un âme.
V. I. E. COMME VIE
Une consonne et deux voyelles,
C’est la naissance de la vie !
C’est elle qui m’ouvre ses ailes
Sans la moindre mélancolie.
C’est toi, devenue mon oiselle
La promesse de tous les jours ;
Tu ne manques jamais de zèle
Pour me prodiguer ton amour.
Quatre-vingt ans qu’elle m’attelle
Au char lumineux du soleil,
Chaque matin j’attends, plus belle,
La minute de mon réveil.
Le moindre détail m’interpelle,
Me délivre un peu de beauté,
Me laisse entrevoir, éternelle,
La fleur de l’immortalité.
Suffit d’une infime parcelle
D’intelligence sur le cœur
Pour provoquer une étincelle
Qui fait flamber notre bonheur.
ELLE ÉTAIT BELLE...
Elle était belle comme un cœur,
Un cœur comme on les imagine,
Un cœur de toutes les couleurs,
Comme les enfants les dessinent.
I
Ce cœur grand ouvert sur le monde
Battait pour ses frères et sœurs ;
Il battait à chaque seconde
Pour venir à bout du malheur.
II
Elle avait recueilli les gosses
Qui traînaient dans les favellas,
Les vieillards au bord de la fosse
Qui n’avaient plus de matelas.
III
Elle arrachait les filles-mères
A leur terrible et triste sort
Qui n’ouvrait que sur la misère
Avant que survienne la mort.
IV
Sans avoir des cents ni des mille,
Elle apportait un peu de pain
Aux délaissés des bidonvilles
Et des tas de poignées de main.
V
Les gens la croyaient immortelle,
Tant la lumière de ses yeux
Lançait de vives étincelles
Quand elle parlait de son Dieu.
VI
Un Dieu d’amour et de justice
Qui parlait au cœur des humains,
Qui voulait que tous réussissent
Même par différents chemins.
VII
Un Dieu pour qui la tolérance
Reste le premier des devoirs,
Qui veut apaiser la souffrance
Pour que ce monde soit moins noir.
BIENTÔT LA SOCIÉTÉ
Bientôt, la société n’aura plus besoin d’hommes :
D’un trait de plume, on les supprime un peu partout ;
Plus d’hôtesse de caisse, on acquitte la somme
En glissant ses billets, sa carte dans un trou.
Au péage de l’autoroute, c’est tout comme :
Tout automatisé, tout déshumanisé !
Aussitôt libéré, le chauffard met la gomme
Tant pis si, pas très loin, il file s’écraser.
Partout c’est le robot, l’appareil que l’on nomme
Pour tenir un emploi et gagner quelques sous ;
Cependant l’ouvrier se précarise et chôme
Et s’il devient neuneu tout le monde s’en fout.
En gare le guichet fait place au nickel-chrome :
Appuyez sur l’écran ! c’est pour quand, c’est pour où ?
Parfois même on entend une voix de boule de gomme
Vous souhaiter bon voyage et prochain rendez-vous.
Quand vous téléphonez, vous n’avez plus personne :
Faites le un, le deux ! la machine y prend goût
Et de nouveau le un, le trois ; là-bas ça sonne
Mais on ne répondra que quand vous serez fou.
A la poste la queue ! l’automate vous somme
D’enfoncer des boutons : il évalue le coût
Une vieille – on l’emporte – est tombée dans les pommes
Tous ces ersatz humains nous tiennent sous leu joug.
Ah ! revienne le temps des vendeurs dans les gares,
Poinçonneurs dans les bus et crieurs de journaux !
Que soit pour nos enfants, un monde moins barbare
Où chacun trouve place à son juste niveau.
Que notre société se fasse pour les hommes
Et d’abord avec eux, à l’abri de ces loups
Qui sont bardés de crocs bien plus que de diplômes
Et qui prennent les gens pour de simples joujoux.
Arrêtons de courir comme des métronomes
Après cette folie qui mène on ne sait où !
AVANT-PRINTEMPS
On sent que la nature avance mais que nous,
Qui n’avons déjà plus qu’un des deux pieds sur terre,
Ne serons plus jamais partants comme naguère,
Portés par nos élans, sans même savoir où.
Devant tant de beauté, nous restons à genoux,
Ne pouvant qu’admirer tout ce qui nous sidère :
Ce renouvellement subit et salutaire,
Ces profusions de fleurs des arbres qui sont fous
Partout, dans les sous-bois, ce ne sont que parterres :
La neige des sylvies couvrant l’or des ficaires,
Les pervenches faisant milliers de petits trous
De ce ciel, le plus pur, chipé dans la clairière
Et brodé dans le vert par la sève qui bout.
Comment ne pas faiblir, ne pas être jaloux
Alors qu’on sent le sud se faire des plus doux
Que la nature avance et nous laisse à l’arrière
Nous qui ne gardons plus qu’un des deux pieds sur terre
Les merles envoûtés courent le guilledou ;
Dans leur livrée de neuf, ils clament que la guerre
Que l’hiver nous livrait se calme tout à coup ;
On voit se profiler les forces que libère
La chaleur du soleil qui diffuse partout :
On sent que la nature avance mais sans nous.
Il nous faut réagir, reprendre la bannière,
Pour un printemps encor, sans accuser le coup,
Retrouver nos projets et notre allure fière,
Fondre de ces baisers qu’on glisse dans le cou
Et qui font frissonner soudain la partenaire
Que cette vie qui va nous garde jusqu’au bout.
Cette fois, la nature appareille avec nous,
Nous avons de nouveau les deux pieds sur la terre
Et nous sommes partant pour aller Dieu sait où
N’importe où, quelque part, quelque part, n’importe où !