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les limites de la science.

 

 

 

      La science nous a apporté des progrès considérables. Nul ne peut le nier aujourd’hui. Elle a eu bien du mal à s’imposer au cours des siècles. A cause des religions qui considéraient leurs dogmes comme des vérités absolues, niaient des faits scientifiques avérés, et déclaraient taboues certaines pratiques comme l’expérimentation sur des êtres vivants. Galilée a dû faire amende honorable parce qu’il avait affirmé que la terre tournait autour du soleil et non le contraire. Léonard de Vinci écrivait les commentaires de ses dessins d’anatomie comme dans un miroir pour éviter peut-être les ennuis. Il n’était pas facile de combattre les croyances bien établies : celle du phlogistique, par exemple, fluide imaginé par les anciens pour expliquer la combustion, jusqu’à ce que Lavoisier démontrât la composition de l’air et le rôle de l’oxygène dans celle-ci. La théorie de la génération spontanée, elle aussi, était fortement ancrée dans les esprits et il a fallu attendre les expériences de Louis Pasteur pour démontrer la fausseté d’une telle croyance.

Les progrès de la science dans le domaine de la médecine sont considérables. Les vaccins ont supprimé en grande partie la mortalité infantile ; les antibiotiques ont guéri bien des patients qui seraient morts sans cela. La chirurgie fait maintenant des miracles grâce, notamment, aux moyens d’exploration dont nous nous sommes dotés ; on est passé maintenant à la microchirurgie, on utilise de plus en plus des robots pour aider les médecins, les cellules-souches laissent augurer un avenir radieux où l’on pourra facilement changer sur le corps humain les organes défectueux, soigner les maladies génétiques en corrigeant le génome de l’embryon. On peut penser qu’à plus ou moins court terme, le cancer et le sida seront vaincus.

Nous aurions bien des raisons de nous réjouir de tout cela. Seulement voilà : les découvertes ne profitent pas à tout le monde parce qu’il y a le coût et celui-ci doit bien être financé. S’il l’était par la société, pas de problème puisque tout serait pris en charge. C’est un peu le cas avec notre sécurité sociale à condition que nous sachions la préserver. Malgré tout, il existe des médecines à plusieurs vitesses, même dans notre pays qui peut se targuer d’avoir la meilleure protection sociale. Mais il n’y a pas que cela. Il y a tous les risques que nous fait courir la mondialisation qui propage un peu partout la prolifération de plantes qui deviennent endémiques, là où elles se sont implantées, d’animaux indésirables et de microbes qui peuvent se révéler brusquement catastrophiques : on a échappé jusque-là aux différentes grippes ( à l’exception de l’espagnole en 1917 ) qui risquaient de décimer nos populations. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une épidémie subite qui ne nous laisserait pas le temps de concevoir et de réaliser un vaccin. Le changement climatique, lui aussi, pourrait très bien nous apporter de désagréables surprises.

Toute médaille a son revers. La chimie a fait des miracles mais on en a abusé de plus en plus, que ce soit dans nos aliments, avec les colorants, les édulcorants, les correcteurs de goût, les adjuvants de toutes espèces, que ce soit dans les appareils que nous utilisons, les matériaux qui constituent notre environnement. On n’a pas encore réussi à déterminer de façon définitive si l’usage des téléphones portables était nocif ou pas. Le grand principe de précaution n’est pas vraiment respecté. On n’a jamais pu prendre le recul nécessaire pour savoir quelles pouvaient être les conséquences de tel et tel produit. Il y a eu l’affaire de l’amiante, celle de la vache folle, celle des hormones de croissance, celle du médiator, celle des prothèses mammaires, de la thalidomide, j’en passe... Le responsable était souvent l’appât du gain. Mais il n’y a pas que cela. De nouveaux problèmes se posent à nous, engendrés par le progrès lui-même. On a l’impression que chaque découverte nous oblige à aller plus loin, à dépasser, à prévoir les risques, à anticiper. Et nous ne le faisons pas, pas suffisamment, entraînés que nous sommes par l’urgence d’agir.

La réalité, que nous appréhendons, ne l’oublions pas, à travers nos cinq sens ou par le biais de nos instruments est sans doute plus complexe que nous ne l’imaginons. Cette réalité est une sorte de puits sans fond, une sorte de tonneau des Danaïdes impossible à remplir, un rocher de Sisyphe qui retombe chaque fois qu’on pense apercevoir le sommet. C’est vrai d’un côté, avec l’infiniment grand de l’univers, de l’autre avec l’abîme de l’infiniment petit.

 

 

Quels que soient les progrès que nous puissions accomplir, nous avons un corps qui s’use ; la loi de l’entropie est dure mais c’est la loi. On peut ralentir la dégradation des tissus, utiliser tous les antioxydants du monde pour cela, on la freinera mais on ne l’arrêtera pas. On ne peut encore moins l’inverser. Pour l’instant, m’objectera-t-on ! Mais plus tard ? Sur sept milliards et plus de terriens, combien ont le privilège d’être bien nourris, bien vêtus, bien logés, bien soignés ? On bute toujours sur la question du nombre, celle qui est taboue entre toutes. Et puis, quelle vie aurait un homme avec un cœur artificiel, des poumons en matière plastique, en guise de foie une pompe chargée d’extraire la bile du sang ? Un tel organe ne produirait pas les globules rouges nécessaires à la régénération de notre hémoglobine. On pourrait peut-être nous cloner mais avec peu de chances de dépasser de beaucoup l’âge adulte. Il faut accepter la mort comme étant une étape ultime de la vie. Prolongeons celle-ci tant qu’on le peu dans de bonnes conditions d’existence mais pas d’acharnement thérapeutique.

Il convient donc d’être modestes et ne pas confondre longévité avec immortalité. Longévité d’accord, mais pour quoi faire, pour devenir quoi ? Il faudrait que, parallèlement à l’allongement de la durée de vie, une société plus juste, plus charitable, moins accapareuse, vît le jour, qu’il y eût moins besoin de jouer des coudes pour s’en sortir. Ce qui n’a guère progressé, c’est l’esprit de l’homme, ses sentiments, ses comportements, tout ce qui touche sa relation avec ses congénères. Le chacun pour soi est notre pire ennemi. Les tentatives de mises en commun des biens, du travail, ont toutes échoué. On a bâti au cours des millénaires différents types de sociétés, de civilisations, qui ont toutes été mortelles, pour reprendre l’affirmation de Paul Valéry. Et ce n’était pas forcément une meilleure qui prenait la place.

La science ne peut rien contre la bêtise, contre la barbarie, contre l’égoïsme, la cruauté, l’addiction au profit ; il n’y a que l’éducation qui puisse faire reculer ces tares humaines mais le déficit qu’elle accuse présentement ne laisse pas espérer une grande amélioration. Le comble de la bêtise, et elle vient d’en haut, c’est quand on traduit un vigneron devant le tribunal correctionnel parce qu’il a refusé d’utiliser des pesticides pour combattre la cicadelle dans ses vignes, parce qu’il préférait utiliser des moyens naturels pour venir à bout de l’insecte et qu’on apprend, quelques mois après, qu’une classe de vingt-trois élèves avec leur maîtresse ont été intoxiqué par l’action d’un viticulteur qui a traité ses vignes avec des produits dits phytosanitaires. Le comble de la barbarie, c’est quand on voit un dictateur, soixante-quinze après la shoah, se servir contre son peuple d’armes de destruction massive. Où est le progrès, Nobel ?

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