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LOUIS

DELORME

SOUS

TOUTES

LES

COUTURES

AVANT-PROPOS


    Ce n'est pas la première fois que je mélange la poésie d'expression libre avec celle d'essence plus classique. Je l'ai déjà fait dans différents recueils : J'Elle, Au Jardin des mots sans visage, Le Saut de l'ange... De classiques, mes sonnets n'ont que le nom puisque je me permets diverses entorses qui les feraient renier par un puriste. A l'opposé les textes dits : libres doivent, selon moi, présenter une certaine rigueur quant à la cadence, la mesure des vers, le choix des mots, au lieu du saucissonnage de prose auquel on assiste trop souvent 
    Sous toutes les coutures ! Ce recueil est en gestation depuis fort longtemps. Je l'ai maintes fois abandonné, ne sachant si je ferais le mélange indiqué plus haut. Ce sont donc des textes venant de dates différentes  à l'opposé de ce que je fais d'habitude, à savoir : prendre mon journal en pointillés et les poèmes dans l'ordre où je les ai écrits. Si, pour ce qui est des poèmes classiques, ceux-ci vont en gros du 10 mai 2016 au 30 mai 2016.
    Le titre ? J'ai beaucoup utilisé dans ces textes l'idée de coudre, couture, recoudre et découdre.  Parce qu'on coud sa vie, qu'on tâche qu'elle ne soit pas décousue, qu'on la recoud à l'occasion et qu'on en découd toujours un peu avec elle. Ce qu'on recoud, généralement, laisse des cicatrices. Et qui n'en a pas dans son existence ? Nous portons tous un habit  d'Arlequin, quoi que nous ayons pu faire pour l'uniformiser  et, d'ailleurs,  ceux qui y parviennent le mieux ont,  à   mon   avis,    une   vie   monotone,   monobloc,  qui  doit
manquer de fantaisie, de rêverie, d'invention, d'imagination donc d'attrait. 
    Il m'est arrivé d'avoir une intention particulière lorsque j'écrivais un recueil ; ce fut le cas avec les premiers : Autre part, Mes Limbes, l'Arche et le Plumier notamment. J'avais le titre avant de commencer ou presque. Mais c'est bien terminé. Avec mes livres qui ont suivi le mot recueil a repris tout son sens : il s'agit d'un rassemblement, d'un ensemble de textes recueillis par l'auteur ou son éditeur. Mais c'est vrai aussi que, pour le présent recueil, l'idée de couture a fait que beaucoup de textes ont des points communs, même s'ils ont été écrits à différentes dates. Je laisse au lecteur de juger par lui-même ce qui n'est là que détail.
    Je lui laisse aussi le soin de décider s'il s'agit là de poésie ou non. On ne s'intitule pas poète. Ce sont les lecteurs qui reconnaissent qu'un auteur l'est ou ne l'est pas. Pour ce qui est ensuite de savoir s'il est bon ou mauvais, c'est une question de goût, de sensibilité, de culture, d'attente. Mais on a toujours, avec la poésie, la possibilité de sauter des pages, voire de refermer le livre.  

    Un dernier point. J'ai pris parti pour la ponctuation car c'est elle qui guide la manière de lire, qui lève toute ambiguïté. On me dira que l'ambiguïté est une richesse. Je compte sur les mots seuls pour exciter l'imagination et favoriser le rêve.
 

 

 

 

 

 


PROPOSITION


Le rêve, cette autorisation que l'on se donne de fuir la réalité.

Viens, je t'emmènerai tout au long du canal :
C'est dans le souvenir qu'on part à sa rencontre ;
Il faut avoir laissé dans un tiroir sa montre,

Et n'avoir plus en vue qu'un moment d'idéal.

Ne jamais avoir peur de se donner du mal,
Ne pas craindre d'aller quelquefois à l'encontre
De ses envies, la réussite le démontre

Ne pas laisser le quiproquo mener le bal.

Là-bas se tient l'amour qui jamais ne s'achève,
Là-bas, on se ressource, on retrouve son rêve,

Celui qu'on avait fait lors de ses dix-sept ans ;

On retrouve ce qu'on avait perdu de sève,
La racine qui croît, la semence qui lève,

De bien gérer son temps, on doit prendre le temps. 


DU CÔTÉ DE...  
 


L'espoir est plus ténu que le fil de l'épeire...

Ta terre te semble étrangère
Lorsque s'ouvre un coin de tes yeux,
Défigurée par tant de guerre :
Tu ne reconnais plus les lieux.

Dans ta mémoire elle est entière,
Telle que l'ont donnée les dieux ;
Ah ! comme il faisait bon naguère

Y vivre et même venir vieux.

Les femmes gardent le silence
Communiqué par la souffrance

Quand il ne reste plus d'espoir...

Quelques enfants – dans les ruelles –
Dont on devine les séquelles,
Te disent pourtant le bonsoir.

 

 


VUE D'EN HAUT


L'incertitude est, bien réelle ; que n'atteint-elle pas les esprits ?

 

Quand l'homme saura-t-il enfin la vérité ?
A savoir qu'il n'y en a pas... ou bien, pas qu'une !
On compte des milliards de soleils et de lunes,
Que sommes-nous vraiment dans cette immensité ?

Nous convoitons le ciel et son éternité
Et nous sommes perdus dans un carré de dunes ;
Que l'on soit amoureux des blondes ou des brunes
On ne sait que très peu de son identité.

Notre planète bleue n'est qu'un grain minuscule
Concentrée, sa matière est à peine un granule,
C'est le vide partout qui tient l'espace temps !

Nous inventons des dieux, pensant que nous en sommes ;
Si nous savions nous contenter d'être des hommes,
Ici-bas, tout serait beaucoup moins inquiétant.


ULTIMA VERBA


La façon de faire vaut toujours mieux que ce que l'on fait.

Tout n'est qu'art de vivre après tout :
C'est la seule chose à résoudre,
Le seul grain qu'il nous faille moudre,
Qui mérite d'aller au bout.

 

Que l'on soit riche ou sans le sou,
Promis aux honneurs, à la foudre,
Tout n'est qu'art de vivre après tout :
C'est la seule chose à résoudre.

On peut avoir tous les atouts,
Avec bien des gens en découdre,
Faire feu de toutes les poudres,
De riz, de guerre ou de dégoût,
Tout n'est qu'art de vivre après tout.

 

DU SUR MESURE


Cette vie, nous l'avons faite à notre mesure 
sans ourlets, sans rubans,
sans fioritures superflues,
sans l'ombre d'un colifichet ;
et nous l'avons cousue ensemble.

Nous nous sommes piqués quelquefois jusqu'au sang.
Elle nous allait bien :
lors de chaque essayage,
il y avait pourtant toujours
quelques retouches à faire,
quelque faux pli qu'il fallait rectifier.

Nous pourrons l'endosser
sans crainte, sans manière
quand il faudra poser l'aiguille et les ciseaux,
la bobine de fil aussi sans doute.

Avons-nous suivi le patron
avant de faire les découpes
et mis suffisamment d'épingles
avant de mettre en branle les ciseaux ?


CONTINUITÉ


L'automne n'est pas que malade mais toujours adoré.

Oh ! le ballet de l'automne
Mieux réglé jour après jour ;
Dans les bois, tout près du bourg,
Tant de belles tourbillonnent !

Déjà l'érable frissonne,
Le bouleau se meurt d'amour
Oh ! le ballet de l'automne
Mieux réglé jour après jour !

Feuille à feuille, l'arbre donne
Les plus beaux de ses atours ;
Elles font trois petits tours
Dans le vent qui s'époumone,
Oh ! le ballet de l'automne !


Il y a des à-peu-près
pour la longueur des manches.
Nous avons surfilé,
ce n'était pas trop mal.

Pourvu qu'elle nous aille bien,
surtout au niveau des épaules ;
que ça ne retombe pas trop.
Nous n'avons pas voulu de fantaisie ;
pourvu que ça couvre la peau...
on se fiche pas mal du reste.

Jusqu'au bout cousue main,
pas de piqûre à la machine ;
qui va l'essayer le premier
le costume qui sort de nos petites mains ? 

 


FILLETTES


Bien des fillettes modernes on remplacé celles de Louis XI. 

Je suis prisonnier de ma peau
Et je tourne dans cette cage ;
Je verrais bien des avantages
A m'en évader au plus tôt.

J'ai mal au ventre et dans le dos,
Ma tête est un remue-ménage,
Je suis prisonnier de ma peau
Et je tourne dans cette cage.

Mon cœur est le plus lourd fardeau :
Sa douleur est mon seul bagage ;
J'ai beau lui dire d'être sage,
Elle n'écoute pas un mot,
Je suis prisonnier de ma peau.

 

 

 

 

 

 

 

MES ÉLANS


Toute ma vie j'ai passé
l'existence au peigne fin,
toutes ses données au crible ;
je regardais à la loupe
et sous toutes les coutures
la vie qu'on m'avait donnée :
un présent si merveilleux
mais souvent empoisonné
par les autres, par soi-même
et le hasard acharné.

Je voulais savoir la cause,
la raison d'un tel cadeau
et ce qu'en contrepartie
la VIE attendait de moi.
J'ai vidé cent fois ma tête,
creusé l'histoire sans fin,
sans FIN, c'est cela : sans FIN !
ni première ni dernière,
sans voir l'ombre d'une issue,
la lueur d'une fissure
sauf à les imaginer.

La VIE n'a pas de réponse
mais la mort en est-elle une ?

 

 

 

 

 

 

 

 

ENFANCES


La douceur que reçoit l'enfant décide de biens des choses.

La fauvette couturière,
Notre mère, nous cousait
Avec zèle un nid douillet
Qui ne pouvait que nous plaire.

Quand mes deux sœurs et mon frère,
Gentiment, me taquinaient,
De son bec elle clouait
Le leur de belle manière.

Si nous faisions trop les fous,
Elle nous disait : « Tout doux !
La maison n'est pas solide.

Cessez de vous déchirer,
Le plancher va s'effondrer,
Vous tomberez dans le vide. »

 

ÉMANCIPATION


Dieu nous a laissés tomber,
n'a plus tiré les ficelles
des piètres pantins que nous sommes.
Pinocchios et polichinelles
ont choisi la liberté.
Dieu nous a laissés tomber !
forcément nous sommes grands
ou du moins nous le croyons
et c'est nous qui prétendons
pouvoir nous passer de Lui.
Beaucoup qui le glorifient
s'en font une fausse idée ;
ils le voient autoritaire
et sectaire bien souvent ;
Dieu n'a vraiment pas de chance
avec nous pauvres humains.

 

ABSOLUMENT


Beaucoup de temps parfois pour un rien d'éternel.

L'inconsciente beauté des choses
Sans besoin de durer toujours,
Que leur destin soit long ou court,
Avec ou sans métamorphoses.

Pour former une seule rose
Que de patience et d'amour !
L'inconsciente beauté des choses
Sans besoin de durer toujours.

A cette vie sans but ni cause,
Nous sommes, hélas ! un peu sourds,
Ne pouvant goûter sans discours,
Sans les détours de notre glose
L'inconsciente beauté des choses.

 

MES NAÏVETÉS


Je n'ai pas trouvé l'origine,
trouvé d'absolu, de zéro,
dans les champs feutrés des étoiles,
l'encéphale de l'univers ;
tout ce que j'explorais me renvoyait plus loin,
ne déplaçait que le théâtre d'ombres,
l'écho rebondissait de roche en roche,
l'œil se flouait de fenêtre en fenêtre,
de réponse partielle en peut-être incertains.

J'ai parlé, j'ai tenté d'écrire,
question de lasser le pourquoi
à défaut d'en tuer l'essence ;
et maintenant je me rends compte
que j'ai tourné dans tous les sens,
en long, en large et en travers
mais en rond comme tous les autres,
prédécesseurs, successeurs...
Dites-moi la belle affaire !
la boucle se referme à la fin du parcours
et maintenant que je m'éloigne,
je ne vois rien de neuf dans tout ce que j'ai dit.

 

 


AVOIR ?


Il faut bien, au final, faire les comptes.

A quoi m'aurait servi de vivre
Si je n'en dressais le bilan ?
Que de projets laissés en plan
Que de rêves marqués : à suivre !

Que de gravures dont le cuivre
Laisserait le papier tout blanc ;
A peine a-t-on pris son élan
Que l'on doit refermer le livre. 

Le fait d'avoir manqué de temps
Ne nous prouve pas pour autant
Qu'on nous en réserve une tranche ;

Mais rien ne coûte d'espérer !
Tant que le trait n'est pas tiré,
Le néant n'est pas dans la manche

 

MES LUCIDITÉS

 J'ai joué le jeu sans tricher,
lancé les dés à l'aveuglette,
jeté mes filets dans des mers
où les bancs de rêves sont rares ;
j'ai pêché toutes les comètes
qui laissaient flotter dans l'azur
leurs chevelures alanguies ;
j'ai dragué tous les fonds humains
dans l'espoir de faire récolte :
de regrets, je n'en ai pas un,
pas un qui soit resté dans ma panière vide.

L'existence, l'existence !
en rechercher la raison
fait partie des convenances,
des routines, des passions ;
je n'ai pas de solution,
ne veux pas de conclusion :
ça laisse à d'autres la chance
d'y croire un peu le temps de l'illusion.


BERCEUSE


Nous sommes riches de ce qu'on nous a chanté.

Quatre mots pour me bercer
Dans cet air où je les aime ;
Avec ça plus de problème
La nuit vienne m'enlacer !

Ma mère les a tissés
Puis brodés avec le thème ;
Et je les recouds moi-même
Pour rajeunir le passé.

C'est toute la poésie,
Sa douceur, sa fantaisie,
Qui renaissent de ce chant ;

Et mon âme, à jamais veuve,
S'en délecte s'en abreuve
Ne sait rien de plus touchant.

 

 

 

L’IRRÉVERSIBLE


La vie se tisse à l'envers :
on prend d'abord la belle laine,
la plus jeune, la plus saine,
celle qu'ont filée les hivers.
Le meilleur, on le gaspille
et lorsqu'arrive le pire,
on ravaude, on rafistole,
on rapièce à qui mieux mieux.
Mais n'a-t-on pas gardé quelque illusion
de repartir dans l'autre sens ?
On a l'âme de Pénélope,
quelque part, au fond de nous,
au plus secret de nos fibres
qu'on voudrait bien retisser
et si cela n'est pas possible
on n'en est pas persuadé.
Coudre les boutons très solides,
cela t'importait davantage
que d'ajouter une doublure.
Tissu de bonne qualité
imperméable
mais lavable, infroissable.

Le voyage serait long
et la route bien poussiéreuse ;
qui sait, de la boue dans l'ornière ?
de brosse à habit nulle part.
Bien coupé, ça tiendrait,
la qualité du travail, ça paye encore.

On n'avait pas d'autre étoffe
que celle venue de nos pères,
belle, simple et chaude
et, de toute façon, 
il fallait faire avec,
tâcher que ce soit pour le mieux.
Point de fioritures,
de brocards,
au diable la passementerie !
menterie que tout cela.

 

 

 

ENVOÛTEMENTS

Bouches cousues,
lèvres mortes,
le silence est devenu d'or,
un silence pesant,
un silence de mort,
un silence plus lourd qu'une chape de plomb.

Les yeux bandés,
les pieds et poings liés
et le crâne décérébré,
la volonté anéantie,
nous sommes des moutons
qu'on tond
quand le maître le souhaite,
quand le gourou l'a dit,
le charlatan préconisé.

Bouches cousues
par toutes les ficelles,
à points serrés,
à points grossiers,
à point cuits,
à point verrouillés,
à points et crans de sûreté,
nous écoutons, à poings fermés,
la doctrine qui nous serine
et nous buvons par tous les pores
les mots de mort d'un fou qui nous tient pour ses pions.

 

 

 


ÉGOCENTRISMES


Mieux vaut jeu de mots que de mains.

Poésie, magie du verbe,
De la vie pulpeux reflet,
Infiniment, tu nous plais
Quand l'esprit te met en gerbes.

On coud les mots, c'est superbe !
Pour ta robe feu follet ;
Poésie magie du verbe,
De la vie pulpeux reflet.

Nous sommes fils de Malherbe :
Chacun brode ses couplets,
Ses lais et ses virelais,
Mais nos cœurs restent en herbe,
Poésie magie du verbe !


LES BÂTISSEURS


Ils ont fait dans la dentelle
pour ciseler la lumière,
lancer leurs flèches de pierre,
tisser la Terre et le Ciel.

Leur rêve caressait les nues
ils avaient avec Dieu des rencontres prévues
et des dialogues fructueux
qu'ils ont transcrits sous les voussures :
Ces apôtres du Beau n'avaient que belles âmes.

 

 

 

 

 

 

DE LA MODE


Pull en Jacquard, jupe écossaise,
marqueteries de la plaine,
tissus à rayures des bois,
la campagne est vraiment belle,
rénovée par le printemps.;

Jardins, taillis, parcs séculaires,
forêts velours, ancestrales allées, 
boutons nacrés des sablières,
broche émeraude d'un bosquet,
lapis-lazuli des mares,
perle sur la moindre parcelle,
l'homme est son grand couturier.


LE POINT DE VUE DE CLAUDE LUEZIOR


    Cousu main, ce recueil capte la rétine. J'imagine Louis Delorme filant la laine de quelque poème classique ou reprisant un vers libre, ou bien amadouant une rime, en position de tailleur sous les champs feutrés des étoiles.
    Son violon sur le toit, ses pinceaux de couleurs et sa plume virevoltant autour d'une tête de sage comme autant de personnages à la Chagall : j'ai pêché toutes les comètes / qui laissaient flotter dans l'azur / leurs chevelures alanguies. C'est que l'homme est poète, viscéralement : avec un simple verbe, quelques substantifs, deux-trois adjectifs, il surfile, coud et découd jusqu'à la trame la matière vivante d'un poème à l'automne, tandis qu'autour de lui, feuille à feuille, Tant de belles tourbillonnent / (...) / Dans le vent qui s'époumone.
    Car écrire est art de vivre, nécessité nouée à l'âme, respiration, capillarité avec l'être : Leurs corps se sont cousus ensemble / avec des points de lèvre à lèvre / de plus en plus serrés (...) Beau !
    Mais n'allez pas imaginer que le tulle est mièvre et que le gaillard fait dans la dentelle. Il partage souvent son effroi : Quand on n'a pour aimer que le poids du malheur. Ses coutures sont alors autant de cicatrices qui suintent leur mélancolie... quand on a craché sous la table / sa suffisance et son venin. Vous avez dit Zola ?
    Devant un monde qui lui échappe mais qui l'a tout autant nourri d'émerveillements, Delorme patiemment pique une couverture dernière pour affronter ce Très-Haut dont il ne sait, à vrai dire, s'il est Dieu ou vertigineux cosmos. À défaut de certitudes, il caresse l'étoffe de la vie / (...) / pour contempler les fils de chaîne, / tendus par l'ourdisseuse originelle. Avec une humilité chevillée au corps, des cals sur le cuir de ses phalanges, une aiguille sous l'index et cette once d'encre qui ne cesse de pulser dans le fût de sa plume, le tailleur-poète ne peut s'empêcher de taquiner les mots sans rime ni raison : / Ils se montrent parfois dociles, résignés, / Se laissant triturer, déchirer, malmener / Et je leur fais passer une sale saison. Cela, en solitaire, en anachorète laïc, car Le silence finit toujours / par cicatriser l'indicible.
    Pourtant demeure toujours, dans ce clair-obscur à la Rembrandt, un élan vital : cette ivresse du cœur et ces rires de l'ombre / dont nous avons creusé les profondeurs. Devant le philosophe, La mer a recousu les rochers de granit / pour en faire un chapelet d'île en île. Restent, au-delà de tout ressac, quand se dénouent les nœuds sur la grève et se dérobent les amarres, des mots juteux, des mots confits / (...) qu'on suce lentement comme des sucres d'orge / en passant la langue sur les lèvres / ou qu'on croque en faisant du bruit.
    Gourmandise ultime pour un poète-grand, comme on dirait un père-grand parvenu au point d'indulgence.

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