Au pied du suc
BABEL MODERNE
Refrain
C’est la grande folie du verbe,
ça dérape de tous côtés ;
la bêtise fait sa superbe,
Ses acteurs sont surexcités.
I
Au palais Bourbon, c’est la foire :
On échange des noms d’oiseaux ;
Ce n’est là que petite histoire,
Prise de becs et de museaux.
II
On lance des petites phrases
Que l’on reprend dans les journaux ;
Pendant la semaine on en jase
A peu près sur tous les canaux.
III
Jusqu’à ma femme qui s’en mêle,
Qui se permet un mot de trop ;
Notre voisine m’interpelle
Et me laisse sur le carreau.
IV
A propos d’une de ses frasques
Commise – bien faible est la chair –
Lors d’un voyage en pays basque...
Qui donc croit encore à l’enfer ?
le saint père y va de la sienne
Quand il s’exprime sur l’Islam ;
Que n’essaie-t-il la tyrolienne,
En s’accompagnant d’un tam-tam ?
Notre président met racaille
Et vieux conard à son menu ;
Le vocabulaire s’égaille,
La vulgarité mise à nu.
Nos bons ministres rivalisent
Pour sortir la leur en public ;
Il est toujours question de crise,
On n’accuse jamais le fric.
On dirait qu’un concours de bourdes
Est en train de se dérouler ;
A Pétaouchnok comme à Lourdes,
De la sottise on a la clé.
Les mots dépassent la pensée :
Ils nous court-circuitent les mots ;
La langue devient insensée,
Nos vocables sont des chameaux.
VANITAS VANITATIS
Je me dis bien souvent : vaine est ton écriture
Qui ne sauvera pas ce monde en perdition ;
Et d’abord, tu n’as pas une plume d’action,
Tes textes ne sont pas promis à la lecture.
Toute poire blettit dès lors qu’elle est trop mûre ;
Notre monde est pareil qui perd toute notion
D’honnêteté, d’honneur et, partout, l’imposture
Impose à nos pareils toutes ses conditions.
Je dois le concéder : vaine est mon écriture
Qui ne sauvera pas ce monde en perdition.
La fleur ne pousse pas, sur trop de pourriture
Et, dans trop de chiendent, c’est une aberration
Que de semer du blé, serait-ce avec passion ;
On ne récolte que l’ivraie sur l’inculture
Et tout ce que je dis n’est que littérature :
Je ne sauverai pas ce monde en perdition.
A qui servent d’abord nos belles inventions,
Ce progrès qui, pour tous, prendrait belle figure ?
Le politique ment, le juge se parjure,
Les plus déterminés perdent leurs convictions
Et le peuple abruti signe sa soumission
Dans cette société qui, d’expédients perdure...
Vous ne sauverez pas ce monde en perdition
Et vous le savez bien : vaine est votre écriture !
Mépris pour le poète et place à la fiction
Qui déforme l’esprit des jeunes sans armure,
Qui forge la violence avec trop d’émotion,
Génère la folie et ses éclaboussures,
Permet au mal d’étendre sa domination ;
Devant ces résultats, vaine est toute écriture,
Rien ne peut plus sauver ce monde en perdition.
Regardez triompher le vice et la luxure ;
Même au plus haut niveau, c’est la dépravation ;
Le fric laisse partout trace de ses blessures,
Il n’est pas d’autre issue que la révolution.
La démocratie tourne à la caricature
A l’esclavage aussi, souvent la religion...
Mesurez-vous l’inanité de l’écriture :
Qui donc pourrait sauver ce monde en perdition ?
Il arrive parfois que l’âme désespère,
Que nos feux soient éteints, notre horizon borné,
Des jours où l’on voudrait ne plus être sur terre,
Des soirs où l’on voudrait ne jamais être né.
Quand on voit dans les rues s’étirer la misère,
Tous ces gosses plus mal lotis que leurs aînés,
Ces prétendants du ciel se déclarer la guerre,
Quand on voit ces dingos clamer sous leurs œillères
Que leurs rites abjects par Dieu sont ordonnés,
Comment ne veut-on pas que l’âme désespère
Que nos feux soient éteints, notre horizon borné ?
Quand on voit qu’en nos murs, seul, le profit prospère,
Que, par tant d’inepties, nos élans sont freinés,
Que la culture, au bout du compte, dégénère
Et tous les désespoirs qui nous pendent au nez,
On voudrait pour le coup ne plus être sur terre,
On souhaiterait très fort ne jamais être né.
Quand on voit tant de vies se perdre dans la guerre
Tant de malheur éclore et le mal s’acharner
Sur tous ces innocents frappés par l’arbitraire,
Qu’après grouillent les champs d’enfants abandonnés,
Quand on voit que la mort compte tant d’auxiliaires
Et, par des charlatans, tant de peuples bernés,
Tant de sbires ici, là tant de janissaires,
On voudrait n’être plus client de cette terre,
On voudrait, pire encor, ne jamais être né.
Quand on voit le travail qui tourne à la galère
Après que la cadence aura tout gangrené,
Quand on voit ces salauds qui tueraient père et mère
Pour que leur compte en banque à la fin de l’année
Ait six zéros de plus, et que rien ne modère
L’appétit de ces fous qui veulent tout ruiner,
On se demande encor ce que l’on fait sur terre
Et si ça valait bien la peine d’être né.
Mais qu’on voie l’arc-en-ciel, sous une pluie légère,
Le saule qui s’ébroue, le regard satiné
D’une rose qui sait que tout semble éphémère
Mais que vers l’éternel tout doit s’acheminer ;
Mais qu’on voie de l’enfant le front s’illuminer
Parce qu’il a compris le sens élémentaire
De l’étude qui va dès lors le passionner,
Qu’on voie se profiler un ami salutaire
Par qui le simple espoir nous sera redonné,
Alors chacun saura ce qu’il fait sur la terre
Et dira qu’il voudra mille fois être né.
HOMMAGE À JEAN FERRAT
Jean nous a chanté sa montagne,
Celles que tracent les troupeaux,
Juste au-dessus de la campagne,
Où les bergers jouent du pipeau.
Jean nous a chanté sa montagne,
Celle où croulent de vieux châteaux
Qui ne sont pas venus d’Espagne,
Où la vigne, sur les coteaux
Ne fera jamais de champagne
Jean nous a chanté sa montagne :
Sa voix claire comme l’écho
Parlait des pays de cocagne ;
Le rêve venait illico :
Je le sens encor qui me gagne
Jean nous a chanté sa montagne
J’ai sa musique dans la peau ;
Quand c’est elle qui m’accompagne
Je dois lui tirer mon chapeau
Car ma solitude s’éloigne.
CANTILÈNE POUR UNE FIN
Nous avons quitté l’automne
Et les vieux airs qu’il fredonne
Pour notre arrière saison ;
Bien beau, par ces temps de brume
Quand la loupiote s’allume,
écartant notre horizon.
L’été dans notre mémoire
Laisse un peu de son histoire
Mais il est déjà si loin...
Envolées, les tourterelles
Qui froissaient soudain leurs ailes
Quand nous jouions dans le foin.
Reste l’hiver difficile
Où nous demeurons tranquilles
En attendant que la mort,
Sans trop s’armer de souffrance,
Sans tuer notre espérance,
Décide de notre sort.
Elle fut belle la vie,
Sur un beau plateau servie
Où fleurissait le printemps.
Nous ne devons pas nous plaindre,
Fallait-il autrement peindre
l’amour qui fut notre temps ?
Quand nous allions à la Loire
Pour commencer notre histoire
Sous les regards du château,
Je t’en croyais la princesse
Et me faisais la promesse
De t’emmener en bateau.
C’était une vieille barque
Et moi, pas fils de monarque,
Mais je voulais t’épouser,
trop heureux quand, sur ta bouche
Qui n’était pas trop farouche,
Je volais quelques baisers.
Nous avons laissé les heures
Filer mais la joie demeure
d’avoir vécu nos vingt ans
Sous le sceau de l’espérance,
En laissant notre inconscience
Dévorer notre printemps.
Je ne sais si tu regrettes
Mais moi, mon âme était prête
A franchir ce premier pas ;
Si la vie n’était pas tendre,
C’était à nous de lui rendre
Ce que nous ne voulions pas.
A nous deux de faire en sorte
Qu’au final l’amour l’emporte
Et nous emporte avec lui,
Vers les plus charmantes plages
Où la joie, restée sauvage,
Comme notre étoile luit.
Nous avons fait ce périple
Et c’est le double ou le triple
Que nous referions encor
S’il restait assez de sable
Dans l’ampoule vulnérable
Qui scelle un jour notre sort.
Le temps s’en va, rien n’efface
Ce qui fut dans notre espace,
Que nous avons modelé ;
Si la vie touche à son terme,
Sous la porte qui se ferme,
Mettons ensemble la clé.
CORIACE À CŒUR
Jusqu’au bout je tiendrai ma plume
Si les mots demeurent en moi,
Jusqu’à ce que j’aie mon costume
Qu’on aura taillé dans du bois.
Qui sait ? quelque texte posthume,
Un petit poème à la noix
Viendra pour soulager mon rhume,
Pensant que j’ai toujours ma voix.
Qu’il veuille bien parler de femme
Et me montrer leurs feux follets,
Attiser encore ma flamme
En me découvrant leurs mollets.
Qu’il soit aussi question de vigne
Et de breuvage gouleyant
Et que l’amour m’y fasse signe
Pour un couplet plus distrayant
Que je n’aie plus la mort dans l’âme
Mais qu’elle puisse s’envoler !
Et qu’un dernier épithalame
Vienne plutôt me consoler !
Je passerai ma mort tranquille,
Mon éternité de bazar
Sans jamais me faire de bile
Sans demander par quel hasard
Un matin j’ai reçu la plume,
Traînée toute ma vie durant,
Jusqu’à ce que j’aie ce costume
A la fois trop raide et trop grand.
Alors, les mots prendront le large,
Tous ceux qui furent interdits,
Tous ceux que j’ai notés en marge,
Qui se croyaient au paradis.
Ils s’en iront faire la fête,
Tracer guirlandes et rondels,
Pour d’autres filles ; et d’autres têtes,
Penseront qu’ils sont immortels.
Oyez ces mots qui vagabondent,
Dont le sourire est éternel,
Qui veulent refaire le monde,
Parce qu’il n’est pas beau tel quel
Moi, je serai dans mon costume
Qu’on aura taillé dans du bois
Et quelqu’un reprendra ma plume :
Il peut le faire par ma voix.
LES MOTS EN PEINE
A quoi servent les mots que j’ai tant adorés
Pour dire la beauté de tes regards étranges,
Pour faire de l’amour nos plus belles vendanges
Et poursuivre le rêve en des lieux ignorés.
Des plumes d’alcyons nous nous sommes parés,
Nous avons fait nos nids comme le font les anges ;
Mais savons-nous en quoi l’éternité nous change ?
Par la vasque du temps nous sommes éplorés.
A quoi servent les mots que j’ai tant adorés ?
A quoi servent les mots que j’ai tant raturés
Pour faire que la vie repousse la violence,
Pour qu’on ne pose plus la chape de silence,
Pour qu’on aille quérir les enfants égarés,
Que les bons sentiments ne soient plus emmurés,
Qu’à notre liberté, il ne soit fait défense
Qu’il n’y ait pas toujours lieu de crier vengeance ?
Si ce siècle, au plus noir, doit être comparé,
Si l’avenir n’a pas meilleure intelligence,
A quoi servent les mots que j’ai tant raturés ?
A quoi servent les mots qui me semblaient sacrés,
Amour et amitié, quand on tue l’espérance
Qu’on déflore trop tôt, trop vite l’innocence
Qu’on fabrique à-tout-va des déséquilibrés,
Alors qu’on voit partout s’étaler l’indécence
Et le crime fleurir avec l’incohérence
Quand tous nos idéaux se sont dénaturés,
A quoi servent les mots qui me semblaient sacrés ?
De fallacieux discours nous ont tous écœurés ;
Les mots n’y sont pour rien si l’homme les altère,
Si son cœur les salit comme il souille la terre
Et s’il n’entonne plus que chants désespérés !
Liberté ! liberté, il faut qu’on te profère !
Justice tu n’es pas qu’un vain vocabulaire
Mais un besoin constant qui doit nous enivrer,
Alors, si nous savons abolir les barrières
Dressées entre les gens qu’il nous faut éclairer,
Les mots, les pauvres mots seront régénérés.