Au pied du suc
A propos du sonnet
Que le sonnet ait été inventé par Pétrarque (1304-1374) ou par les troubadours provençaux, qu’il soit d’origine italienne, voire sicilienne, ou pas, que ce soit Clément Marot (1495-1544) ou Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) qui l’aient rapporté en France, ou même, selon Boileau, que Du Bellay l’ait déniché à Florence, peu importe. Ce qui compte pour nous, c’est d’étudier son évolution et peut-être d’en dégager quelque conclusion.
Cette forme poétique est certainement celle qui, de toutes les formes dites fixes, a connu le plus grand succès auprès des auteurs. On la trouve chez des écrivains qui ne sont pas connus pour être des poètes, par exemple : Alphonse Daudet (1840-1897) :L’OISEAU BLEU, ( in Les Amoureuses. ) Ou encore Hippolyte Taine (1828-1893) : LE BONHEUR et même chez des artistes qui ne sont pas connus comme écrivain, comme Edgar Degas (in Huit sonnets ). Depuis Joachim Du Bellay (1524-1560), jusqu’au début du vingtième siècle, la plupart des poètes s’y sont adonnés ou simplement exercés. Les derniers que je trouve dans l’Anthologie de la Poésie française ( éditions Rencontre 1967 ) sont d’Odilon-Jean Périer ( 1901-1928 ) : La Blessure et de Georges Gabory ( 1899-... ) L’Amant heureux. Mais cela ne prouve pas qu’il n’en ait pas été écrit d’autres. Boris Vian ( 1920-1959 ) par exemple nous a laissé un recueil intitulé Cent Sonnets. D’autres auteurs connus en ont sans doute commis mais on ne les trouve pas dans les anthologies.
Il faudrait chercher un peu mieux que je ne le fais. J’en trouve justement un de Louis Aragon : Imité de camoëns ( in Les Yeux d’Elsa - La Pléiade P. 789 )
Par ailleurs, s’il fallait dénombrer tous ceux édités dans les revues de poésie ou publiés à compte d’auteur, parfois très réussis, souvent dévalués par la nécessité d’observer les règles, et là, il faudrait y passer du temps.
Pour certains poètes, le sonnet fut essentiel. Pour tous ceux de la Renaissance, ceux de la Pléiade notamment, Ronsard (1524-1585) bien évidemment. Il reste très important chez Nerval (1808-1855), plus encore chez Baudelaire ( 1821-1867). Par contre Victor Hugo (1802-1885) n’en a composé que trois. Musset (1810-1857), Sainte-Beuve (1804-1869), Théodore de Banville (1823-1891) en ont produit de remarquables. Mais comment oublier Verlaine (1844-1896) et Rimbaud (1854-1891) ? Jules de Resseguier ( 1789-1862 ), quant à lui, nous a laissé son immortel et inimitable chef-d'œuvre monosyllabique, SUR LA MORT D’UNE JEUNE FILLE : Fort / Belle, / Elle / Dort.// Sort / Frêle ! Quelle / Mort // Rose / Close // La / Brise / L’a / Prise. Félix Arvers ( 1806-1850 ), lui, ne nous est connu que par celui intitulé Imité de l’italien : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère...
Les règles :
Le sonnet comprend quatorze vers répartis en deux quatrains aux rimes embrassées, construits sur deux rimes seulement, et deux tercets dont les deux premières rimes sont plates, et les suivantes, plutôt embrassées à la Renaissance, strictement alternées chez les Parnassiens. Soit les deux schémas suivants :
abba abba ccd eed
ou bien :
abba abba ccd ede
Dès le début, ces règles ne sont pas observées avec rigueur : Mellin de Saint-Gelais dans D’UN présent de roses nous livre des tercets cdc dcd. Pas besoin de rime e. Vous me direz que qui peut le plus peut le moins. Le même donne le schéma suivant abab bccd dee fef. ( sans titre - in ? ) Du Bellay utilise déjà les rimes alternées dans les quatre derniers vers des tercets ( in les Antiquités de Rome : sans titre : Comme on passe en été le torrent sans danger... )
Ces règles ont beaucoup évolué sont devenues plus strictes avec le temps ( Malherbe (1555-1628) - Boileau ( 1636-1711) ) pour atteindre l’apogée de la rigueur avec les Parnassiens et se relâcher ensuite, puis connaître aujourd’hui une nouvelle rigueur ( chez les poètes à compte d’auteur ) qui n’est pas toujours de bon aloi. Entre temps Baudelaire avait pris des libertés avec les rimes des quatrains ( LES CHATS in Les Fleurs du Mal ), la longueur des vers et l’ordonnancement des tercets. ( LE CHAT, ibidem. ) Les rimes des quatrains n’ont pas toujours été respectées par Verlaine : dans le fameux sans titre : L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable ( in Sagesse ). Par Rimbaud, quasiment jamais. Le même Verlaine écrit NEVERMORE avec une seule rime pour le premier quatrain et une seule pour le second. Dans son célèbre VOYELLES, Rimbaud respecte bien les rimes des quatrains, rimes embrassées pour tous les deux, mais dans le second, au lieu abba, il utilise baab. Bien sûr, il n’est pas question pour nous de critiquer ces prises de liberté, bien au contraire car ce sont elles qui ont permis d’écrire autant de chefs-d'œuvre. Elles ont décomplexé les poètes.
Venons-en au hiatus : jusqu’à Malherbe, le hiatus n’est pas interdit. Les poètes se l’interdisent eux-mêmes lorsqu’il est désagréable à l’oreille. Lorsque ce n’est pas le cas, ils ne s’en privent aucunement. Pour proscrire complètement le hiatus, il faudrait bannir tu es, qui a ( mais pas quia parce qu’il est à l’intérieur du mot ), il y a et tous les mots qui en comportent un à l’intérieur d’eux. Ce très beau vers de Ronsard par exemple : C’est que tu es aimé, et je ne le suis point ( deux hiatus dans un seul alexandrin. ) ( in Pièces retranchées ). Où elle tette ( tète ) encore vient les coups endurer écrit étienne Jodelle ( 1532-1573) ( in Les Amours ). Citons encore Louise labé (1526-1566) : Où êtes-vous pleurs de peu de durée ? et Joachim Du Bellay : La terre y est fertile, amples ses édifices ( in Les Regrets ) On ne remarquerait même pas ces hiatus, si je ne les soulignais pas.
La justesse des vers : elle est loin d’être parfaite. Nous avons vu ci-dessus étienne Jodelle conserver le e de encore. On l’écrira ensuite sans e ce qui permet d’ajuster certains vers. Agrippa d’Aubigné (1550-1630) écrit : L’amour me fait faire le poète. Pour que le vers soit juste il faut biffer le e de faire.
La longueur des vers : des alexandrins chez presque tous les auteurs, des décasyllabes nombreux chez Ronsard qui utilise avec bonheur aussi bien le dodécasyllabe comme dans Les Sonnets à Hélène : Quand vous serez bien vieille au soir à la chandelle ou le décasyllabe : Une beauté de quinze ans enfantine, dans les Amours de Cassandre. également des octosyllabes, comme chez Agrippa d’Aubigné : Pardonne-moi, chère Maîtresse / Si mes vers sentent la détresse... Des heptasyllabes déjà chez Malherbe, qui utilise donc l’impair avant la lettre, avant Verlaine : Plus Mars que Mars de la Thrace, / Mon père victorieux. In épitaphe de Monseigneur le duc d’Orléans . Des pentasyllabes chez Valéry : Ni vu ni connu / Le temps d’un sein nu / Entre deux chemises, ( LE SYLPHE in Charmes ) . Des trisyllabes comme celui de Jules Lemaître : L’eau répète / Le ciel mat / Calme plat, / Mer muette.( in Les Médaillons ), des dissyllabes chez Jules Laforgue : Un fou / S’avance / Et danse // Silence... (COMPLAINTE-épitaphe - in Les Complaintes ) Et bien sûr, les monosyllabes de Jules de Resseguier, cité plus haut. Et aussi, des vers d’inégale longueur : Chez Tristan Corbière ( 1845- 1875 ) ( in Les Amours jaunes ) Cafarde, avec son crêpe noir... / Horreur ! tout est donc sous un éteignoir ?
La règle qui veut qu’un singulier ne rime qu’avec un singulier, un pluriel avec un pluriel est fort bien respectée. J’ai trouvé de rares exceptions ; chez Rémy Belleau (1528-1577) : Trousse l’escarlatin de ton beau pelisson / Puis me baise et mes presse et nous entrelaçons ( in Deuxième Journée de la Bergerie. ) Une autre chez Charles Guérin (1873-1907) : Avec des mains d’humilité calmes et jointes ; Ouvrir son cœur comme une rose à blanche guimpe. De plus il ne s’agit là que d’une assonance. Cette règle me semble la plus contraignante et pourtant elle n’est pas utile à l’oreille. Seulement à l’œil.
La majuscule en début de vers : On la trouve presque partout. Georges Fourest ( 1864-1945 ) l’abandonne dans son Carnaval des Chefs-d’œuvre : Le palais de Gormaz, comte et goberbador, / est en deuil : pour jamais dort caché sous la pierre. . Et beaucoup d’autres après lui ou avant.
Quelle conclusion apporter ? Le sonnet a connu un large succès dans notre littérature qui s’étend de 1500 à nos jours, soit sur plus de cinq siècles. Bien qu’il soit de plus en plus décrié, il résiste et c’est à nous poètes de le défendre. Le meilleur moyen c’est d’en écrire de beaux. La forme compte, certes, mais le contenu aussi. Son auteur doit s’interdire toute mièvrerie, toute cheville qui proviendrait d’un trop grand respect des règles. Celle de la consonne d’appui qui fait que finir et rugir ne riment pas correctement, alors que venir et finir le font, me semble ridicule et seulement prônée par ces petites académies qui organisent des concours sans grand intérêt. Suivons plutôt l’exemple de Charles Guérin cité plus haut. Suivons celui de Baudelaire et de Rimbaud qui n’ont pas eu besoin de respecter toutes les règles pour produire les plus beaux joyaux de notre langue.
Ringard le sonnet ? Il l’était déjà à l’époque de Verlaine et pourtant relisez : Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, / Je me suis promené dans le petit jardin... ( Après trois ans in Poèmes Saturniens ) et puis, songez que la distance entre Ronsard et Verlaine est de 380 ans, que celle entre Verlaine et nous n’est que de 169 ans.
écoutez chanter ces vers et cherchez qui nous en a fait cadeau :
Et son grand corps plein d’ombre était couleur de cendre.
Et mon rire étranger suspend à mon oreille //
Comme à la vide conque un murmure de mer.
Endors-toi donc... Je ne sais plus si c’est ton rire
Ou l’eau qui court sur les cailloux qu’elle fait luire..
Dites quel vol d’éclairs vient d’effleurer ma tête
Pour que, ce soir, ma vie ait eu si peur de moi ?
Le premier « oui » qui sort de lèvres bien aimées.
Princesse, sommes-nous bergers de vos sourires ?
Le Temps qui cheminait dans le sang du soleil.
Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
Même quand elle marche on croirait qu’elle danse...
Un soir d’hiver enfin, l’âme lui fut ravie,
Il s’en alla, disant : «Pourquoi suis-je venu ? »
Je sens que chaque jour je me meurs de sa mort.
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.
Moi je veux rajeunir le doux sonnet de France ;
Du Bellay le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.
J’aurais sans doute dû commencer par là : Et Boileau dans tout cela ?
L’Art poétique bien sûr avec sa conception du sonnet et les règles qu’il veut imposer ;
On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre,
( Apollon)
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du Sonnet les rigoureuses lois ;
Voulut qu’en deux quatrains, de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, frappât huit fois l’oreille ;
Et qu’ensuite six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout, de ce Poème il bannit la licence ;
Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.
Du reste, il l’enrichit d’une beauté suprême :
Un sonnet sans défauts vaut seul un long Poème.
Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
À peine dans GOMBAUT, MAYNARD et MALLEVILLE,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille ;
Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier.
N’a fait de chez Sercy, qu’un saut chez l’épicier.
Pour enfermer son sens dans la borne prescrite,
La mesure est toujours trop longue ou trop petite.
Boileau se met ensuite à fustiger Ronsard :
RONSARD, qui le suivit, ( Il s’agit de Marot )
par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa Muse, en français parlant grec et latin,
Vit, dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut...
On comprend pourquoi Ronsard est tombé dans l’oubli puis fut ressuscité par les Romantiques.
Le même Boileau encense Malherbe :
Enfin MALHERBE vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la Muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Finis, le hiatus, les enjambements ( Que dire alors de ceux de Rimbaud dans le Dormeur du Val ? ).
Sauf que de Malherbe on n’a retenu quasiment que ces vers :
Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses
L’espace d’un matin.
Alors que Ronsard continue de nous charmer car il est l’un de ceux qui nous a laissé les plus beaux sonnets
Pour terminer je choisirai dans Les Sonnets à Hélène celui-ci qui n’est pas des plus connus ( sans titre ) :
A l'aller, au parler, au flamber de tes yeux,
Je sens bien, je vois bien que tu es immortelle;
La race des humains en essence n'est telle :
Tu es quelque Démon ou quelque Ange des Cieux:
Dieu, pour favoriser ce monde vicieux,
Te fit tomber en terre, et dessus, la plus belle
Et plus parfaite idée il traça le modèle
De. ton corps, dont il fut lui-même envieux. 1
Quand il fit ton esprit, il se pilla soi-même,
Il prit le plus beau feu du Ciel le plus suprême
Pour animer ta masse, ainsi ton beau printemps.
Hommes, qui la voyez de tant d'honneurs pourvue,
Tandis qu'elle est çà bas, soûlez-en votre vue :
Tout ce qui est parfait ne dure pas longtemps..
1 ) Ronsard n’élide pas le e de même dans lui-même envieux. ( 6 pieds ) Et il a raison.
Auteurs des vers cités :
( successivement : Pierre Louÿs, Paul Valéry, Francis Jammes, émile Verhaeren, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé, Maurice Rollinat, François Coppée, Théodore de Banville, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval, évariste Boulay-Paty, Victor Hugo, Charles-Augustin Sainte-Beuve )
mes sources :
Anthologie de la Poésie française ( 12 volumes ) éditions RENCONTRE - Suisse 1967.
Sonnets du temps jadis,
Sonnets d’hier et d’aujourd’hui,
présentés par Fernand Gregh
Collection «Trésors de la France » éditions TIRANTHY PARIS 1947
Dictionnaire des Rimes françaises
par Ph. Martinon - R. Lacroix de Lisle LIBRAIRIE Larousse
Louis Delorme