top of page

Pour le coin de table.

 

 

 

Deux poètes injustement oubliés

 

Georges Cazenave

 

 

 

J’ai connu Georges Cazenave en 1969 chez les Artistes du Vieux Châtres ( à ARPAJON 91) où nous avions présenté quelques-uns de ses recueils. C’était un homme affable, simple, comme seuls savent l’être les personnes de qualité. Pour vous parler de lui, j’utilise l’extrait d’une lettre que j’avais adressée à Pascal Dupuy, président de la revue Poésie sur Seine, qui avait publié mon article dans les Ateliers.

 

Je voudrais maintenant vous présenter mon ami, Georges Cazenave, qui, je vous l'ai dit plus haut, fut mon parrain au Sociétariat des Poètes Français. Poète très peu connu, sans doute parce qu'il était trop modeste et trop simple dans ses choix poétiques.

Originaire des Landes, il était, excusez du peu, agrégé de grammaire française et avait enseigné de nombreuses années en lycée. Ayant pris sa retraite à Capbreton, sur sa bonne terre natale, ce professeur honoraire avait un second domicile dans la capitale, où il passait une partie de l'année, dispensant sa grande culture, lors de conférences sur des sujets qui lui tenaient à cœur. Mais c'est surtout dans son terroir qu'il se sentait bien, entouré d'enfants à qui il prodiguait ses textes présentés en cartes postales. Poète d'un grand, d'un vrai humanisme, il avait été couronné par l'Académie Française et aussi par la ville de Paris. La dernière fois que je l'ai vu, il était venu dans un cercle littéraire présenter ses recherches sur " la famille Rostand dans le Pays Basque". C'était en 1975...

Georges Cazenave nous a quittés en 83. De nombreuses correspondances m'ont lié à lui jusqu'à cette date ultime. Je tenais, par-delà la mort, qui nous sépare mais ne brise jamais la chaîne qui s'établit d'hommes à hommes, lui rendre cet ultime hommage. Des poètes comme Félix d'Arvers ne sont connus que pour un seul texte. Si Georges Cazenave est de ceux-là, je pense que le poème intitulé "Le Visiteur", ( ci-joint avec quelques autres ) mérite amplement de demeurer dans nos mémoires.

(Texte extrait de mon livre : Que sont mes amis devenus ? )

 

 

LE VISITEUR

 

Ce pas, trop appuyé, crissant sur le gravier,

Ce soir, après vingt ans, il monte dans l'allée.

Comme je le connais, ce pas familier

Quand il vient s'étouffer sur les marches dallées.

 

Est-ce ton pas, mon père, est-ce le mien ? Qu’importe !

Quelque chose de toi est en moi, qui m’étreint.

Et nous montons, unis, jusqu’au seuil de la porte,

Comme deux voyageurs prenant le même train.

 

Allons ! Faisons, veux-tu, un bout de route ensemble.

Qui saura, nous voyant marcher d’un même effort,

Et puisqu’en vieillissant mes gestes te ressemblent,

Lequel de nous est l’ombre, et lequel est le corps ?

 

Pas besoin de parler, père, pour nous entendre !

Que ta visite soit un passage émouvant !

Il faudra quelque soir que j’aille te la rendre !...

Mais, écoutons la nuit qui chante dans le vent !

 

 

 

LES MOUTONS

 

Où sont-il partis, les moutons

Dont la lande en fleurs était pleine,

Qui mêlaient à l'or des ajoncs

Les pétales blancs de leur laine?

 

Dans le vide de nos forêts

Le silence demeure en quête

De leurs bêlements éplorés

Et du tintement des clochettes.

 

Disparus, moutons et bergers

Qui portaient même houppelande

Tant pis si les temps ont changé

Au printemps doré de nos landes.

 

Mais qu'un nuage blanc paraisse

Dans le couchant mauve, irréel,

Vois ! Ce sont nos moutons qui paissent

Les champs de bruyère du ciel !

 

HIVER

 

Derrière les carreaux où se crispe la ville,

Je regarde, à travers les givres en biseau,

Au-dessus des toits blancs, dont la fumée oscille,

Le lac glacé du ciel où patine un oiseau.

 

Va-t-il plonger parmi les vagues des toitures,

Sans laisser un instant sa trace ni son cri ?

Va-t-il briser la glace et finir l’aventure

Dans quelque trou du ciel se refermant sur lui ?

 

Il tourne sans arrêt, et je suis son manège

De l’un à l’autre bout d’un monde de cristal.

Il glisse, point de vie, en ce globe de neige,

Harmonieux héros de ce tragique bal.

 

Mais il te faudra bien achever cette danse

Et comment t’évader de cet univers blanc ?

D’où sors-tu ? Où vas-tu, oiseau ? Et quelle chance

As-tu de te poser en un monde vivant ?

 

Comme toi, nous errons en longues arabesques

Dans le vide du ciel, seuls avec notre foi.

Et puis nous lâcherons ces jeux funambulesques

Pour plonger dans l’abîme une dernière fois.

 

Louis Delorme ( extrait de mon livre Que sont mes amis devenus ?)

 

 

 

Claude LE PETIT

 

On ne sait pas sa date de naissance avec précision. Peut-être 1638. Je n’ai pas retrouvé le lieu. On parle de Normandie sans autre précision. Corneille a fait jouer Le Cid deux ans auparavant. Le jeune homme fréquente le collège de Clermont, à Paris, poursuit des études de droit et de philosophie et devient avocat. Mais il se retrouve de très bonne heure sur les chemins de bohème et d’errances des mauvais garçons. Après s’être rendu coupable d’un meurtre, sur la personne d’un jeune prêtre, il doit quitter la capitale pour échapper à la justice. Il va errer quelques années à travers l’Europe : Espagne, Italie, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Angleterre...

Il rentre en France en 1661, l’année de la mort de Mazarin, celle qui voit Louis XIV affirmer son pouvoir absolu. Il sera supplicié l’année suivante en Place de Grève ( aujourd’hui place de l’Hôtel de Ville ) pour ses écrits licencieux. Il n’avait que vingt-trois ans. Il eut la main droite coupée, avant de finir sur le bûcher. Par grâce spéciale, on l’étrangla avant d’allumer le feu, comme cela se faisait couramment. Pour mériter cela, il avait écrit et publié deux livres : Le Bordel des Muses, qui contient des strophes obscènes et L’Heure du berger, un roman comique, licencieux lui aussi. Claude Le Petit était libertin et athée. A l’époque, ce n’était pas bien porté, quel que fût par ailleurs, le comportement du roi avec ses nombreuses maîtresses. Il fut poursuivi à l’instigation du clergé bien que ses écrits ne soient pas d’une impiété flagrante. Mais comme on n’arrivait pas à démasquer les auteurs de libelles politiques qui couraient la capitale, il servit d’exemple.

En 1668 parut à Cologne La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule.

 

 

Cimetière DES SAINTS-INNOCENTS

 

 

En passant par ce cimetière

Prions Dieu pour les trépassés.

Que d'os l'un sur l'autre entassés !

Que de cendre et que de poussière !

Quatre mots de moralité

Sur ce lieu de mortalité :

Hommes, pour une bagatelle

Qui vous donnez tant de souci,

Toutes les têtes sans cervelle

Ne sont pas dedans ce lieu-ci.

 

Tous ces fameux traîneurs d'épées,

Tous ces illustres champions,

Ces Césars et ces Scipions,

Ces Alexandres, ces Pompées,

Ces grands soldats et ces grands rois

Bravèrent la mort autrefois

Par une valeur sans seconde ;

Mais la mort enfin les brava.

Que de mal pour mourir au monde,

Et ne savoir pas où l'on va !

 

Extrait de Paris ridicule

 

Les deux derniers vers expriment bien la philosophie de celui qui doute. Ce qui n’est guère permis à l’époque.

 

 

 

 

 

 

 

 

LE POÈTE CROTTÉ

 

 

Quand vous verrez un homme, avecque gravité,

En chapeau de clabaud promener sa savate,

Et, le col étranglé d'une sale cravate,

Marcher arrogamment dessus la chrétienté,

 

Barbu comme un sauvage et jusqu'aux reins crotté,

D'un haut-de-chausse noir sans ceinture et sans patte

Et de quelques lambeaux d'une vieille buratte 1

En tous temps constamment couvrir sa nudité,

 

Envisager chacun d'un œil hagard et louche,

Et, mâchant dans les dents quelque terme farouche,

Se ronger jusqu'au sang la corne de ses doigts,

 

Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un [homme,

Dites assurément: « C'est un poète françois ! »

Si quelqu'un vous dément, je l'irai dire à Rome.

extrait des Sonnets

 

Déjà à cette époque, on ne faisait pas grand cas des poètes et de leurs écrits, sauf pour les condamner. Si Voltaire a pu dire que Pascal est un fou né deux siècles trop tôt, qu’il me soit permis de dire que si Claude Le Petit était né un demi-siècle plus tard, il aurait connu la régence et l’époque du libertinage. Mais on l’aurait peut-être condamné pour ses écrits satiriques. C’est mesurer la chance que nous avons d’avoir notre liberté d’expression et combien il est nécessaire de la défendre.

Louis Delorme

1) Buratte : le mot n’est pas dans le dictionnaire. Dans Littré on trouve burat ( masculin, le r ne se prononçant pas ) étoffe de bure ; on peut penser qu’il s’agit d’un vêtement fabriqué avec cette étoffe.

Mes sources : L’Anthologie de la Poésie française ( éditions Rencontre )

Dictionnaire de la Littérature française ( éditions Bordas )

 

Article publié dans le Coin de Table revue de la Maison de Poésie ( avril 2013 )

bottom of page