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Pastiche & Parodie

On les confond souvent. Plaçons-nous sur un plan purement littéraire : Michèle Aquien les exclut de son Dictionnaire de Poétique. Claude Gagnaire dans son excellent Pour tout l'or des mots nous dit : « Voilà deux mots différents que l'usage a transformé en synonymes.» Mais il consacre un article a chacune car, ajoute-t-il : « La parodie se veut méchante : comme elle ressemble à la caricature, elle se doit de forcer le trait et d'abolir les nuances » Et pour ce qui est du pastiche : « Le pastiche en revanche exige une parfaite connaissance de l'œuvre... Le pasticheur idéal voudrait être celui qui ajoute une œuvre à celle de sa victime. » Retenons que l'un ne cherche pas à décrier mais donne de l'importance au poème qu'il contrefait, qu'il interprète plutôt à sa manière rendant ainsi hommage à l'auteur; en lui montrant de la considération, voire de l'admiration.
    Abordons en premier la parodie qui se veut absolument critique, voire acerbe, méprisante. Notre hymne national, nous dit Claude Gagnaire, a inspiré plusieurs centaines de parodies et il en cite quelques-unes. Pour ma part, j'en ai trouvé une de plus chez Alphonse Allais. La voici : 
LA MARSEILLAISE DES INFIRMES
    Le Muet
Allons enfants de la patrie !
Le jour de gloire est arrivé.
    L'Aveugle
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé
    Le Sourd
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
    Le Manchot
Ils viennent jusque dans nos bras
égorger nos fils et nos compagnes
Aux armes citoyens ! formez vos bataillons
    Le Cul-de-Jatte 
Marchons (bis) qu'un sang impur abreuve nos sillons.
    Ce texte, daté du 22 février 1883 fait penser à La mauvaise Réputation de Georges Brassens. Pendant la guerre, les enfants dont j'étais chantaient le refrain suivant, anonyme mais largement colporté :
Aux armes charcutiers
Prenez vos tabliers
Hachez ! hachez ! tous ces Prussiens
Pour en faire du boudin
Pour les chiens.
Mais ce refrain n'était-il pas antérieur à cette guerre, le mot Prussiens n'ayant plus guère cours dans les années 40. 
Et sur la chanson de Rina Ketty, nous mettions les paroles suivantes :
Si tu reviens
N'oublie pas tes tickets de pain
De matière grasse et de savon
Car tu sais que c'est les restrictions ;
Tu sais fort bien
Que sans tickets on trouve rien
Et si tu veux manger mon vieux,
Faut faire la queue.
    Celle-là était davantage d'actualité. On parodiait aussi l'Hymne au Maréchal, la chanson allemande Lilly Marlen. N'étaient-ce pas là nos façons de résister ou de manifester notre joie en dépit des circonstances, à nous qui jouions les maquisards en culotte courte avec nos mitraillettes en bois ? 

    Le pastiche, lui, s'en tient à un jeu poétique, à une sorte de joute littéraire comme on a pu les pratiquer du temps de François Villon sur d'autres modes. Le pastiche s'insère dans le moule souvent très connu d'un auteur lui-même respecté. La lecture du pastiche doit faire penser d'emblée au modèle. Un bon pastiche s'inspire de l'original mais il en fait tout autre chose. Il n'en garde que des tournures, des mots, des rimes peut-être, pas forcément à la même place mais il doit être à la fois fidèle et ne pas l'être trop. Il doit avoir son propre sujet, ou thème à conduire en se servant d'un appui préexistant. A ce prix, ce n'est peut-être qu'un jeu mais un jeu qui mérite d'attirer notre attention. 
    Certains ont abusé de cette forme au point d'avoisiner le plagiat. C'est sans doute ce qui a un peu discrédité le pastiche. Dans son livre, Claude Gagnaire cite LA BALLADE DES DAMES DU TEMPS JADIS de François Villon, pastichée par Henri Bellaunay et qui devient:

LA BALLADE DES éTOILES DU TEMPS JADIS

Dites-moi où en quel pays
Est Sophia la belle Loren
Lollobrigida et Vitti
Qui ne lui cédaient qu'à peine...

    Pour ma part, j'ai recommencé à me livrer au pastiche grâce à mon amie Jeanne Champel-Grenier qui m'a envoyé ceci :

CAPRICES D'OCTOBRE


C'est un coin de verdure tout encerclé de lierre
Les derniers pois gourmands ploient sur les potirons
Prés du puits, un lézard a l'air d'être en prière
Tranquille, en espérant le vol des moucherons.

Ici, le jour s'écoule, qu'il pleuve, neige ou vente
Sans vraiment s'émouvoir, il a ses habitudes
Même si les saisons sont un peu trop mouvantes
Le chat a ses secrets et ses béatitudes

S'il pleut dans le soleil, les abeilles butinent
Les mûres du roncier, qui de sucre poudroient
Et moi, je m'émerveille  : une vapeur si fine  !

Parfois un peu de neige saupoudre les légumes
On ne s'attendait pas à ces étranges plumes
Et puis tout disparaît comme fleur de farine

    Est-il nécessaire de dire quelle œuvre est ici pastichée ?
Bien entendu, j'ai aussitôt rebondi avec le poème suivant :

LE MéRINOS


Souvent, pour festoyer, les gens de mon village
Prennent un mérinos sur quoi passer leurs nerfs
Et font un barbecue pour tout le voisinage
Disant que l'animal n'aura pas trop souffert.

A peine lui a-t-on rasé sa laine blanche
Que ce prince des prés, maladroit et piteux
Laisse voir gauchement la maigreur de ses hanches
Ainsi qu'un laideron qui se sent déjà vieux.

Ce mouton dépité, comme il nous fait la gueule,
Lui, hier encor fringant, que son air me déplaît !
On affûte le grand coutelas sur la meule
Et l'on singe son bêlement qui nous comblait.

La bête inoubliable est tout éberluée,
Elle qui, jusqu'alors, dédaignait le boucher.
Mais... Ce n'était qu'un rêve, une simple suée,
Il n'y a plus de quoi se plaindre ou se fâcher !

    Là encore, l'original est assez connu pour qu'on ne s'y trompe pas 

    Jeanne m'a encore envoyé :

LES ABERRANTS

C'était un vieux cargo hors du chantier naval
Chargé de transporter les dégâts de la haine  :
Les tas d'os du calvaire de Saint-Calembredaine
Qui côtoyaient les vivres, hélas ! en fond de cale.

Tous n'étaient pas issus de dépouilles Allal,
Ce qui mit en furie Sélim, le capitaine
Constamment allumé par les sourates anciennes
Et peu respectueux du monde occidental.

Chaque soir défilaient des saucisses qui piquent,
Du thé noir moisissant, très amer, mais stoïque,
Le maure saluait le levant mordoré

Où marchait sûrement son troupeau de chamelles,
Lorsqu'il lui sembla voir ces panneaux abhorrés
Ventant la nudité des plages des Séchelles.


    Claude Gagnaire cite encore : Heureux qui, communiste a fait un beau voyage pour parodier ceux qui partaient à Moscou aux frais de la princesse, si j'ose dire. Je m'étais amusé à faire, il y a pas mal d'années un sonnet qui commençait par : Heureux qui, communiste, avait un beau palace, ce qui était le cas d'un habitant de notre contrée. N'ayant pas retrouvé mon texte je le remplace par ceci :


Heureux qui, communiste avait un beau bailliage
Et, comme apparatchik appréciait sa maison ;
Et puis a retourné sa veste à l'horizon
Quand il a vu venir le début de l'orage.

Pourrait-il retrouver un jour ses avantages
Et sur le bord de mer passer une saison,
Refaire sa datcha, redorer son blason,
Œuvrer pour qu'un moujik lui porte ses bagages ?

Plus lui plaisait le régime de ses aïeux
Que celui instauré pas quelques factieux ;
Plus son fief caucasien que la sombre colline,

Plus sa fière Volga que ce lac sibérien,
Plus que ce temple affreux repris par les chrétiens,
Le grand hôtel du peuple où venait sa cousine.

    Victor Hugo est tentant peut-être plus que beaucoup d'autres, parce qu'il est tellement connu, certains de ses textes ont été tellement rabâchés.
    Voici Oceano nox revu par la plume de Jeanne Champel-Grenier Il ne s'agit que de deux strophes, les plus souvent apprises à l'école : 

OCEANO NOX

(Parodie )

Oh  ! Combien de marins partis sans leurs mitaines
Vers les coins giboyeux de ces îles lointaines,
Croisant la pollution, se sont évanouis  !
Ils rêvaient de baleines mais n'en virent aucune
Hélas  ! Ils n'étaient pas partis en bonne lune
Et d'un triste hareng saur durent faire un méchoui  !

Combien par-dessus bord du navire hors d'âge
Durent boire la tasse devant un abordage
De méduses urticantes que leur livraient les flots  !
Nul ne saura leur faim, ni s'ils savaient plonger
En Enfer, en passant, sans doute sont-ils changés
En un morne récif couvert de bigorneaux  !


    J'ai été plus gourmand et j'ai pastiché les trois strophes que j'apprenais à mes élèves (soient les deux premières du poème et la dernière. )

OCEANO NOX

Oh ! combien de migrants, chassés de leur domaine
Sont partis, malheureux, pour des terres lointaines ?
La Méditerranée, sur ses bords, les a pris !
Combien de disparus ? La mer montait ses dunes,
S'est soudain démontée au lever de la lune :
Beaucoup de ces marins brusquement ont péri.

Combien de gosses morts dans ces affreux naufrages ?
La vague – mais qui sait pourquoi – fait ses ravages ;
Ils sont traîtres aussi les remous et les flots.
Ils avaient fui l'horreur, les bombes enragées,
Leurs barques ont été très vite submergées
Et leurs cris de terreur abreuvaient ses sanglots

Où sont-ils ces enfants sacrifiés à la gloire
D'un tyran qui ne peut que laisser dans l'Histoire
L'image d'un bourreau qui met l'homme à genoux ?
Quelle guerre sans nom avons-nous démarrée
Et que sont devenues leurs joies tant espérées ?
Nous avons tué Dieu, pauvres, pauvres de nous ! ;

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