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Le poète et la nature.

 

Deuxième partie : Du romantisme à nos jours.

 

Dans la première partie de mon étude, je me suis arrêté à Baudelaire parce qu’il m’a semblé se situer à la charnière de deux conceptions de la poésie. De deux conceptions du monde.

« Qui n’a connu les dernières années de l’Ancien Régime ignorera toujours ce que peut être la douceur de vivre.», a dit un jour Talleyrand avec un peu de nostalgie. La douceur de vivre n’a peut-être pas pris fin avec la Révolution mais bien plutôt avec les ères industrielles qui se sont succédé au XIXe et XXe siècles. Est-ce que cela a influencé les poètes dans leur jugement, dans leur inspiration, dans leur façon d’appréhender la Nature ? C’est possible mais pas certain. Plus tard peut-être...

Baudelaire, pour revenir à lui, ne se contente pas d’évoquer la nature comme une sorte de décor à ses poèmes. Il ne veut pas seulement la chanter, l’exalter, la célébrer. Il la sacralise. Il veut aller au plus profond. Pour lui, la nature constitue, toute une symbolique.

Ainsi dans :

 

CORRESPONDANCES

 

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

 

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

 

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

 

Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

 

 

Je serais tenté de dire que la nature est un peu comme la pensée. On avance, on se déplace en elle, on appréhende sa complexité. On la retrouve en soi. Mais Baudelaire va au-delà : il confronte la réalité proche, les parfums, les couleurs et les sons avec les choses infinies, celles qui nous dépassent.

 

En fait, les époques et de ce fait les tendances de la poésie se chevauchent. Les poèmes sur la nature ou qui, plus simplement, l’évoquent, vont continuer de fleurir tout au long du XIXe siècle et même au-delà. Il faudrait citer encore Théophile Gautier qui exalte "la Tulipe" malgré son manque de parfum : "Nulle fleur du jardin n’égale ma splendeur, / Mais la nature, hélas ! n’a pas versé d’odeur / Dans mon calice fait comme un vase de Chine" ( in Poésies diverses ), LECONTE de Lisle avec ses " Elfes ", " couronnés de thym et de marjolaine ", Sully Prud’homme avec " le Cygne " : " Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, / Que les rainettes font dans l’air serein leur bruit, / Et que la luciole au clair de lune luit, / L’oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète / La splendeur d’une nuit lactée et violette, / Comme un vase d’argent parmi les diamants, / Dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments. " ( in Les Solitudes )Le premier prix Nobel de littérature a bien hérité du père Hugo avec cette image splendide qui n’est pas sans rappeler Booz endormi, François Coppée encore, dans sa "Promenade" : " Au loin, dans la lueur blême du crépuscule, L’amphithéâtre noir des collines recule, Et tout au fond du val profond et solennel, Paris pousse à mes pieds son soupir éternel " et même le Mallarmé de " Brise marine " : " Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres / D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! / Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux / Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe / ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe... Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, / Lève l’ancre pour une exotique nature ! " . Charles Cros, dans son " Sonnet madrigal" confesse : " J’ai voulu des jardins pleins de roses fleuries, / J’ai rêvé de l’Eden aux vivantes féeries, / Des lacs bleus, d’horizons aux tons de pierreries ; / Mais je ne veux plus rien ; il suffit que tu ries. " José Maria de Hérédia qui a un goût prononcé pour l’exotisme n’en rencontre pas moins la nature dans ses endroits les plus secrets ; ainsi dans " Le Récif de corail " : "Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore, / Eclaire la forêt des coraux abyssins / Qui mêle aux profondeurs de ses tièdes bassins, / La bête épanouie et la vivante flore... "

On pourrait citer bien d’autres poètes de ce XIXe siècle finissant : les impressionnistes que sont Charles GuériN :" Il a plu.. Soir de juin. écoute, / Par la fenêtre large ouverte, / Tomber le reste de l’averse, / De feuille en feuille, goutte à goutte. Il est encore question dans ce poème de L’odeur de vanille qu’exhale / La poussière humide des routes. " ( In Le Cœur solitaire ), et Henri de Régnier, dans Jardin mouillé :" A petit bruit et peu à peu, / Sur le jardin frais et dormant, / Feuille à feuille, la pluie éveille / L’arbre poudreux qu’elle verdit ; / Au mur on dirait que la treille / s’étire d’un geste engourdi. " ( in Les Médailles d’argile ) Le poète recherche, ici, les sensations, les impressions dans ce qu’elle ont de plus véritable, de plus authentiquement observé et ressenti. Ce texte résonne en nous comme la madeleine de Proust. On y retrouve un peu de son vécu. L’âme ( le souvenir ) et le corps ( le sensible ) s’y retrouvent parfaitement. Comme dans tel tableau impressionniste dont la réalité, à peine perceptible, fait renaître en nous des sensations, qui nous font communier avec l’auteur.

 

Abordons maintenant le vingtième siècle.

 

Il nous faut distinguer ceux qui chantent la nature pour elle-même. Le déclin des saisons, les éléments, On ne peut les citer tous. A cheval sur les deux siècles : émile Verhaeren " Sur la bruyère longue infiniment, / Voici le vent cornant novembre ; / Sur la bruyère, infiniment, /Voici le vent / qui se déchire et se démembre, / En souffles lourds, battant les bourgs, / Voici le vent, / le vent sauvage de novembre... " in Villages illusoires

Jean Moréas : " Les roses que j’aimais s’effeuillent chaque jour, / Toute saison n’est pas aux blondes pousses neuves ; / Le zéphyr a soufflé trop longtemps ; c’est le tour / Du cruel Aquilon qui condense les fleuves. " ( Les Stances ) La nature est toujours associée à des sentiments : la mélancolie, la nostalgie, l’amour. Il y a ceux qui s’identifient à la nature : Charles Ferdinand Ramuz : "Je suis né du rocher comme une source et mon cours m’a porté comme elle vers les vallées, diminué de hauteur, blessé de la chute et longuement étendu. ( Petits poèmes en prose - Né du rocher )" . Ceux qui s’approprient ses éléments : " La nuit est ma nudité / les étoiles sont mes dents / je me jette chez les morts / habillé de blanc soleil. " ( Georges Bataille in L’ORESTIE )

Paul Claudel, lui, utilise aussi la nature comme décor, un décor qui participe à la scène, qui joue son rôle avec les acteurs suscités par son imagination :

"Dans les branches s’étaient pris leurs cheveux fins, ( ceux des princesses ) / Des feuilles étaient collées sur leurs visages. / Elles écartaient les branches avec leurs mains, / Elles regardaient autour avec des yeux sauvages. " ( in Le sombre Mai - Corona Benignitatis Anni Dei. )

Paul-Jean Toulet évoque à plusieurs reprises la nature dans ses Contrerimes. Ainsi : " Douce plage où naquit mon âme ; / Et toi savane en fleurs / Que l’océan trempe de pleurs / Et le soleil de flamme; // Douce aux ramiers, douce aux amants, / Toi de qui la ramure / Nous charmait d’ombre et de murmure, / Et de roucoulements. "

Là encore, la nature est imbriquée dans son propos, pas utilisée en tant que telle. Il s’agit de la nature sans n majuscule. Il en va de même chez André Gide : " Il y avait sur les lisières des hêtraies / Des corneilles qui ne voulaient pas s’endormir, / Et on voyait entre les branches enchevêtrées / Des cerfs passant qui s’étaient arrêtés. "

Vincent Muselli, quant à lui, chante l’été : " Ordonnateur des champs, des cités et des bois, / De ruines il n’est que ta pourpre n’habille , / Tu changes tout en or et l’on t’a vu cent fois / Faire un beau papillon d’une vieille chenille. " ( in Les Travaux et les Jeux )

Jules Supervielle, pour sa part, fait appel à ses souvenirs comme une musique intérieure :" Sous l’émerveillement des sources et des grottes / Je me fais un printemps de villes et de monts / Et je passe de l’alouette au goémon / Comme sur une flûte on va de note en note. " ( in La Sphère - Débarcadères. )

Dans Paysage, Francis Carco conseille à son ami de se laisser entraîner vers cette nature bénéfique qui nous comble de ses bienfaits : " Le verger savoureux et paisible t’attend / Pour te mieux révéler la tendresse des choses / Et quand t’énervera la mollesse des roses, / Le soir t’apaisera de ses recueillements. // Ah ! voici que les fruits sont gonflés et t’appellent ! / écoute circuler la sève des fruits mûrs..." ( in Premiers Vers ) On est loin de la nature évoquée par Alfred de Vigny. Il s’agit là d’une nature dans laquelle on se sent bien, en parfaite harmonie avec elle.

Tristan Derème utilise la nature pour créer une atmosphère, dont il enveloppe son personnage : "Regarde. La glycine a jauni sur la porte, / Et voici que l’automne aux tempes couronnées / De lierre caduc et de roses fanées / S’avance et d’un pied lourd foule les feuilles mortes ./ Il marche et son manteau de pourpre au crépuscule / Se dénoue et se mêle aux nuances champêtres. " ( in Poèmes - La Verdure dorée )

Quant à Paul Valéry, il transcende ce qu’il voit dans la nature ( la mer ) pour atteindre des sommets spirituels :

"Quel pur travail de fins éclairs consume / Maint diamant d’imperceptible écume, / Et quelle paix semble se concevoir! / Quand sur l’abîme un soleil se repose, / Ouvrages purs d’une éternelle cause, / Le temps scintille et le songe est savoir. " ( in Le Cimetière marin ) Le silence de la mer s’apparente à celui de la conscience. On peut aussi penser que les remous de l’une et de l’autre ont beaucoup en commun. Le tableau observé mène le poète sur les chemins de la connaissance. Valéry va au-delà de la comparaison que Baudelaire avait introduite dans son poème L’Homme et la mer.

De même, pour célébrer la flèche de la cathédrale de Chartres, Charles Péguy utilise la symbolique du blé :

" C’est la gerbe et le blé qui ne périra point / Qui ne fanera point au soleil de septembre, Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre... " (in Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres )

 

A ce stade de notre réflexion, on peut se demander lequel, parmi les poètes, n’a pas chanté la nature,, et plus spécialement les fleurs. Est-ce Ronsard qui avait lancé la mode avec Mignonne allons voir si la rose ? Lui ont emboîté le pas, Victor Hugo avec son bouquet de houx et de bruyère en fleur, ( Les Contemplations - Demain dès l’aube... ), Marceline Desbordes-Valmore avec ses Roses de Saadi : " J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ; / Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes / Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir... " Verlaine avait lancé son :" Voici des fleurs, des feuilles et des branches / Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. " ( déjà cité dans l’article précédent : In Aquarelles - Green) . La nature était là une sorte de prétexte pour célébrer la femme aimée. D’autres continueront, dans ce vingtième siècle où l’on s’est pourtant beaucoup éloigné des traditions. Ce sera Anna de Noailles dans Aube sur le jardin : "... Les gramens délicats, les rosiers suspendus / Que leurs ongles légers accrochent aux murailles / Le verger qui fleurit, les ailes qui tressaillent... " Apollinaire leur fera écho avec : " Voici quelques pauvres fleurettes / De merisier et de lilas...( in Poèmes à Madeleine) Mais le même Apollinaire relie toujours la nature à l’amour. Dans les Poèmes à Lou, Roses guerrières, au milieu des combats, en date de septembre 1915, il évoque " Un poète dans la forêt / [ qui  regarde avec indifférence / Son revolver au cran d’arrêt / Des roses mourir en silence ... Il songe aux roses de Saadi / et soudain sa tête se penche / Car une rose lui redit / La molle courbe d’une hanche... " ( Il reprendra ce texte dans les Calligrammes. La femme encore et toujours associée aux fleurs. Comment ne pas citer encore Saint-John Perse dans Exil - Pluies (VIII)? "...C’est la terre plus fraîche au cœur des fougeraies, l’affleurement des grands fossiles aux marnes ruisselantes, / Et dans la chair navrée des roses après l’orage, la terre, la terre encore au goût de femme faite femme.":

Chez Paul éluard la nature est prétexte à clamer sa soif de Liberté ( dans le célèbre poème portant ce titre ): "Sur tous mes chiffons d’azur / Sur l’étang soleil moisi / Sur le lac lune vivante / J’écris ton nom... " Aragon, lui aussi, clame sa détresse après l’invasion de la France par les troupes allemandes en juin 40 : " ô mois des floraisons mois des métamorphoses / Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé / Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses / Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés". ( In Le crève-cœur - Les lilas et les roses. )

Parfois, c’est une sorte d’osmose qui se crée entre l’homme et la nature : "... Source au cœur des sables. Pensée / de bords nouveaux s’enrichissant / et qui, sans cesse, va laissant / la rive déjà caressée. / Ici, lente comme une traîne / aux anses de facilité. " ( Robert Ganzo : Arbre qui porte entre ses branches - in Rivière )

 

 

Au point où j’en suis de mon étude, je fais appel aux poètes que j’ai eu la chance et l’honneur d’éditer, au cours de cette poésie marginale qui m’a occupé durant de nombreuses années. Des auteurs que j’ai publiés dans Soif de mots. La nature offre des paysages qui fascinent le poète ; ils font partie de son enfance, de son héritage, de son patrimoine :

" Les bords de Seine ont bien du charme. / Pourtant l’eau reflète les ifs, Les saules pleureurs abusifs / Les marronniers d’Inde sans larme. ( Jean-Charles MICHEL - Soif de mots N° 18 ) et du même : " L’eau qui clapote sur la berge, / Dès le passage d’un pousseur, / Vient rajouter de la douceur / Au décor, entre soie et serge. " (ibidem )

La nature est une sorte d’écho, de miroir dans lequel on plonge son âme :

" L’étang / miroir de fraîcheur / un refuge qui affine / l’essence de l’âme. // Sous l’aile du silence / le clapotis du clair de lune / flotte dans l’ombre / des cabanes de pêcheur." ( Jacques CANUT - Soif N° 4 ) également : " J’ai visité la grande plage / où nous marchions pieds nus dans l’eau, / La terre et mer couple sans âge / Vivent tous deux un beau duo. La comparaison est parfaite. " (LA ROQUE BRUNE - La grande Plage - Soif N° 9 - Les poètes canadiens )

 

La nature est présente de façon discrète, en demi-teinte, plutôt dans les tons pastel, à peine suggérée, esquissée. Mais on la sent bien présente dans l’âme des poètes. Elle peut-être source de nostalgie : Pierre Osenat invoque son enfance sur l’île de la Martinique, dans ces vers:" Alizés poussez-moi vers l’île de mémoire, / L’encre verte d’enfance attend dans l’écritoire... / Vous me retrouverez suivant le vol des fous / Dans le ciel délavé des lunes d’insomnie, / Cherchant sans me lasser, sur la mer infinie, / Parmi les bois flottés mon enfance aux yeux doux. " ( Soif de mots N° 6 )

Source d’émerveillement : " J’aime le fleuve d’or, écrit Thérèse Mercier, Qui n’est que mouvance / La nature en plein essor / Esquisse un pas de danse. " ( ibidem)

Daniel Chétif se pose une question : " Qu’est-il donc devenu le chemin du passé, /Où j’aimais promener cette âme vagabonde, / qui me fit découvrir une sente profonde / Bordée à chaque flanc, d’un délicat fossé ? " ( ibidem )

Source de rêve : " Je ferme les yeux sur ma solitude / J’imagine l’étang comme un océan... J’ai le cœur jusant / Jusqu’au fond le l’âme J’affronte les brisants Qu’engendrent les lames " ( élisa Aubry - Soif N° 17 )

La nature est aussi source de métaphore : métaphore avec l’amour, avec la femme. C’est le cas pour Robert-Hugues Boulin : ( Soif de Mots n° 6 )

" J’ai besoin de tes lèvres / Pour boire l’eau fraîche des fontaines... J’ai besoin de ta voix / pour entendre les étoiles chanter. "

Métaphore avec soi : " Mon cœur est un désert, il n’y pousse plus rien ! / Ses vertes oasis, aux fleurs imaginaires, / Ont, hélas ! disparu. De ses dunes lunaires / Voyant fuir sa jeunesse, il hurle comme un chien. " ( Lisy - Soif N° 26 ) ou encore : " « Je suis un navire en détresse, » / Harcelé par les océans, Craignant que ma coque en faiblesse / N’éclate en mille craquements. // Le bel albatros légendaire / Ne se pose plus sur mon pont, / Le feu de Saint-Elme éphémère /A disparu sous l’horizon. " ( Roland JOURDAN - La Nef mélancolique - Soif N° 18 )j

A l’inverse, personnification des fleurs : métaphore à l’envers si j’ose dire, sorte d’allégorie : " Lui, était un bel iris bleu / De noble bulbeuse famille, / Elle, tout en jaune soyeux / était une jeune jonquille. " ( Brigitte de Morgan - Soif N° 20 ) . Ou encore : " Tu es la mère ( Il s’agit de l’Amazone ) / dont le souffle enveloppe le Monde. / Oui, tu élabores la vie / dans le secret de tes entrailles ; /tu submerges la Terre et la Forêt, / tu les inondes pour mieux les féconder... ( Ellen Fernex - Soif N° 22 )

Créer une atmosphère :" Fin novembre. Il n’est plus une feuille aux branches. Je dessine des arbres nus dont les bois fréquentent le ciel. Ciel de novembre, ciel désert. Quelques oiseaux viennent y patauger, tels des humains qui s’enlisent dans de grandes flaques laiteuses d’où le soleil est absent. " ( Claude Pétey - Soif N° 20 )

Autre exemple qui va bien au-delà de la simple description :

 

 

ESQUISSE

 

Le soir esquisse un pas de lune

Sous l’évent bleu du ciel d’été

Avant que la nuit sur la dune

A voix d’étoiles n’ait chanté

 

Son doux refrain de crépuscule

Dans la ronde liliacée

D’une lumière qui recule,

Aux tons qui viennent enlacer

 

Les prismes d’une ère nouvelle

Telle une aurore aux confidences

D’un miroir dont l’eau s'échevelle

 

D’un doigt de vent... Le soir s’assied

Dans l’herbe bleue d’une nuit dense

Qui ferme le cœur des rosiers...

 

Thierry SAJAT - Soif de Mots N° 27

 

 

Sorte d’osmose enfin ( comme évoquée plus haut ) avec cette nature dont nous sommes issus, que nous ne pouvons pas renier, avec laquelle nous nous identifions :

"...et je veux être là, ton pays intérieur / dans ces bosquets où l’espoir se prend / au bleu des lampes aux lèvres que le soir / trempe en rivière / avant de te joindre avec / la force d’une main / la forme des fenêtres sur la mer / le silence puissant des saisons / giflant les falaises comme une éternité / L’espoir pousse avec l’herbe / et les étreintes vont vivre là / où la joie en nous en chaque monde / s’enfante d’elle-même. " ( Gilles-éric Séralini - 3 VI 88 - London, Ontario - Soif N° 10 )

Hélas ! la Terre n’est plus cette orange bleue chère à Paul éluard. La nature meurtrie, martyrisée, par l’action de l’homme trouve des défenseurs chez les poètes. Leur voix s’élève mais que peut-elle face aux pouvoirs de destruction dont l’homme s’est doté ? Pire encore, face au lent empoisonnement que génèrent les industries, les véhicules, la consommation excessive d’énergie ? Face à l’inconscience des uns, à la malveillances des autres ?

" Le monde est mort, écrit Thérèse Mercier, La planète va s’éteindre / Tout est intact encor / Mais rien ne sert de feindre. " ( Soif de mots N° 6 - extrait de Le Voile du Devenir - Librairie-Galerie racine )

" Et le mont Frugy / Dévoile sa verdure / Après la laideur / De sa calvitie / Mais en quelle année / Noircirent ses entrailles / Quand il a brûlé / Comme fétu de paille. " (élisa Aubry ( Soif de mots N° 17 )

Et ces deux textes inédits de notre ami Gérard Cazé :

 

LA TERRE PROMETTAIT...

 

La Terre promettait autrefois l'abondance,

Entretenait l'espoir d'un fertile avenir.

Mais c'était sans compter sur les temps à venir,

Qui ont anéanti cette belle espérance.

 

L'Homme en voulant, sans cesse, imposer sa puissance,

A pollué, meurtri, au point de l'appauvrir,

Cet éden qu'aujourd'hui il regarde mourir,

Après l'avoir frappé du sceau de l'ignorance.

 

Aveuglé par l'éclat de son propre intérêt,

Il a pillé le sol, dévasté la forêt,

Au mépris du besoin de ses enfants à naître.

 

Le verra-t-on, demain, bourrelé de remords,

Comprendre ses erreurs, et pour finir admettre,

Qu'il conduit, de ce pas, la planète à sa mort ?

 

Autre poème de Gérard Cazé :

 

L'EAU

 

L'eau qui tombe du ciel n'est rien moins qu'un trésor,

Dans certaines contrées, on l'attend pour survivre.

A la première goutte avec joie on s'enivre

En sachant qu'elle vaut plus encor que de l'or.

 

Mais dans d'autres endroits, on la gaspille à tort,

Par ignorance ou bien manque de savoir-vivre.

Un robinet ouvert en peu de temps délivre

Assez d'eau pour ailleurs échapper à la mort.

 

Nos excès ont par trop fait souffrir la nature,

Il faut s'attendre un jour à payer la facture :

Des sources et des puits commencent à tarir.

 

Si l'on refuse encor les gestes qui s'imposent,

On peut s'interroger sur notre devenir.

Sur la Terre, sans eau, l'Homme n'est pas grand-chose.

 

Pour ma part, cela fait quarante ans et plus que je dénonce dans mes poèmes le mal que l’homme fait subir à la planète. Dans mes recueils, Les Hurlements, Un Sursis de combien ? Le Point de rupture... et dans mes articles. Je considère que l’engagement du poète doit être total en ce qui concerne les grandes causes. Même si sa voix, aujourd’hui, n’a guère de portée. Je terminerai ce survol trop rapide, loin d’être exhaustif, par un de mes textes récents :

 

 

LE LOURD CONSTAT

 

Qu’avons-nous donc fait à la Terre

Qu’elle nous le fasse payer ?

Son moteur a dû s’enrayer,

A moins que ce soit la colère ?

 

Le printemps ne s’échauffe guère,

La flamme est encore au foyer ;

Le ciel ne fait que larmoyer :

Plus un seul rayon ne l’éclaire.

La pluie jure de nous noyer

Qu’avons-nous donc fait à la Terre

Qu’elle nous le fasse payer ?

 

Dans le jardin, c’est la galère,

On ne cesse pas de tailler

Et faute d’être ensoleillé,

Il ne fleurit pas, le parterre !

Il y a de quoi s’effrayer !

Qu’avons-nous donc fait à la Terre

Qu’elle nous le fasse payer ?

 

Notre corps manque de lumière

Mais rien ne peut apitoyer

Le cœur glacé de l’atmosphère

Qui veut nous faire agenouiller

Et nous conduire à la misère ;

Qu’avons-nous donc fait à la Terre

Qui va nous le faire payer ?

 

Il commence, notre calvaire,

Elle va tous nous balayer !

Rien ne pourra plus égayer

Cette société délétère

Dont la semence dégénère ;

Nos poisons vont s’y employer :

C’est une période glaciaire

Qui nous fera tous oublier.

Notre statut était précaire

Et nous avons trop gaspillé.

Disons nous bien que cette Terre

A besoin de tout nettoyer.

Tout ce qu’on a fait à la Terre,

Nous allons devoir le payer

 

Elle a tant souffert ,notre mère,

Nous l’avons pillée, humiliée

Et nous avons éparpillé

Ce qu’en milliers de millénaires,

Elle avait fini par trier ;

Avec le rayon nucléaire,

Nous serons bientôt foudroyés :

Il va falloir demain payer

Le mal qu’on a fait à la Terre.

 

La sauvegarde de la nature ? Le poète a-t-il les moyens de faire entendre sa voix ? Auprès des enfants, je pense que oui.. Pour ma part j’ai fait des échanges poétiques avec une centaine de classes de par le monde et j’ai pu constater combien ces élèves étaient sensibles à tout ce qui touche l’écologie, la nature en danger. Les éveiller au beau, c’est bien, leur montrer qu’il faut aussi le préserver, c’est mieux.

 

Article paru dans le Journal à Sajat N° 96 septembre 2013. La première partie avait également figuré dans le Journal à Sajat.

 

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